Comment habiller le libéralisme en « progressisme » au Venezuela

Le programme de la Table de l’unité démocratique (MUD) – qui regroupe les partis et organisations soutenant la candidature de Henrique Capriles à l’élection présidentielle d’octobre prochain au Venezuela – est idéologiquement très libéral, malgré une rhétorique médiatique prétendant le contraire. Le fil conducteur des 166 pages et des 1 237 articles de ce document est le triptyque décentralisation-autonomie-privatisations.
Les références à la décentralisation apparaissent 83 fois ; le texte renvoie 37 fois à l´autonomie d’organismes publics censés orienter le développement de la nation ; et on peut lire 103 fois l’invocation de la « nécessaire participation du secteur privé » dans tous les aspects de la vie socio-économique. Le candidat Capriles souhaite, en effet, démanteler l’Etat central pour faire des 23 Etats régionaux autant de fiefs dirigés par de grand caudillos. De même, il entend faire éclater l’administration publique en une myriade d’organismes autonomes, et abandonner l’idée même d’intérêt général promue par le gouvernement bolivarien, au seul bénéfice du secteur privé.
Décentralisation
Au nom du fédéralisme inscrit dans la Constitution bolivarienne, l’opposition vénézuélienne a déclaré la guerre à toute forme de centralisation. Selon elle, le centralisme, pourtant modéré, mis en place par Hugo Chávez est la cause de tous les maux dont souffre le pays. En fait, si l’on fait la comparaison avec la France, le Venezuela est loin d´être une dictature jacobine. Les systèmes de santé et d’éducation, ainsi que la police, dépendent totalement ou en partie des Etats fédérés qui disposent chacun de leurs propres pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire.
Pour pallier les déséquilibres entre régions riches et régions pauvres, le gouvernement bolivarien tente de proposer, au coté des institutions régionales, un véritable système public pour tous. C’en est trop pour l’opposition qui voit dans l’extension, dans ses fiefs, de ce système national une entrave à une « saine » concurrence privée.
Le financement des Etats régionaux par l´Etat central s’effectue au prorata du nombre d’habitants, ainsi que par la possibilité de taxer les entreprises installées sur leur territoire. Faute de quoi, comment ferait un Etat pauvre et peu peuplé, comme le Delta Amacuro, situé á la frontière avec la Guyana, pour financer son réseau d´hôpitaux, d´écoles (comme le mentionnent les articles 872 et 860 du programme de la MUD), ses routes, ses installations sportives (article 829), ses services culturels (article 921), ou encore son approvisionnement en eau (article 927) et en électricité (article 982), toutes compétences que lui confère le programme de Henrique Capriles ? En réalité, cette décentralisation est le prélude á la privatisation des services publics régionaux dans les zones où le financement local sera impossible.
Autonomie
La volonté d’autonomie des organismes publics s´inscrit dans cette même logique. On peut légitiment se demander pourquoi tant d’acharnement à rendre autonomes certains organismes ? Et surtout les rendre autonomes de quoi et de qui ?
L´appareil d´Etat, avant l´arrivée de Chávez au pouvoir, était déjà organisé selon cette conception. C’est pourquoi, pour ne citer que quelques exemples, la Commission nationale pour la culture, la Centre national autonome pour la cinématographie ou encore le Conseil national du sport ont été remplacés par les ministères de la culture ou des sports. Une structure dépendante du ministère de la culture a été crée pour encourager la création cinématographique. Les conflits d´intérêt ont désormais disparu, alors qu´ils régnaient en maitres dans les organismes autonomes où le secteur privé intervenait dans les prises de décision.
Le programme du candidat Capriles entend réhabiliter ces organismes autonomes et déposséder ainsi l’Etat de ses marges de manœuvre dans la mise en oeuvre de politiques publiques. La droite prévoit en effet de créer un Conseil national des communications (art. 126), un Conseil national du logement (art. 172), un Conseil supérieur du sport (art. 939), un Conseil national pour les déchets solides (art. 1033), un Conseil des entrepreneurs pour le développement durable (art. 1044), un Conseil national de l’environnement (art. 1086), un Conseil présidentiel pour les peuples indigènes (art. 1094), un Conseil de gestion des risques naturels (art. 1105), et un Conseil national du transport qui viendraient vider de leur contenu les attributions des ministères de la communication, du logement, du sport, de l’environnement, des peuples indigènes et des transports.
Evidemment, sous la plume des rédacteurs ultralibéraux du programme de la MUD, ces « conseils » n`ont absolument rien avec voir avec des soviets… En s`autonomisant des ministères qui détiennent actuellement les compétences pour traiter de ces sujets, ces conseils seraient-ils aussi autonomes des intérêts privées ? On peut en douter.
L’orientation idéologique de ces choix d’autonomie transparaît parfaitement lorsque le programme de la MUD traite de la Banque centrale du Venezuela (BCV) ou de l`entreprise pétrolière Petroleos de Venezuela SA (PDVSA). En demandant l’autonomie de la BCV (art. 407, 408, 409), la droite vénézuélienne entend ainsi empêcher tout type de contrôle politique sur les questions monétaires et financières. Dans le meilleur style du traité de Lisbonne dont on peut voir les conséquences dans la crise dans laquelle sont actuellement plongés la Grèce et plusieurs pays européens…
Cette volonté de mettre le pouvoir politique et le développement de la nation sous la coupe des pouvoirs économique et financier est particulièrement évidente dans le cas de PDVSA. L’article 499 scelle la nécessité de séparer « le poste politique de ministre en charge des hydrocarbures de celui de président de PDVSA, et d´élargir la composition de son assemblée d´actionnaires afin de garantir á l´entreprise son autonomie en matière de gestion financière et opérationnelle ». L´entreprise pétrolière – dont la reprise en main par le pouvoir politique avait été au cœur du coup d’Etat d’avril 2002 et du lock-out de janvier 2003 – redeviendrait ainsi « une entreprise à seule finalité commerciale » comme le stipule l`article 500. Tout autant que la nature, le marché a horreur du vide, et il ne manquerait pas de pallier l’évacuation du pouvoir politique par la prise de contrôle du secteur privé.
Privatisations
Les expériences dramatiques vécues par les peuples latino-américains dans les années 1990, et celles des peuples européens aujourd´hui, devraient suffire à condamner tout retour aux politiques néolibérales. La Révolution bolivarienne trouve d’ailleurs ses origines dans le Caracazo, cette rébellion populaire contre les plans d´ajustement structurel du FMI, qui s’était soldée par le massacre de plus de 2 000 Vénézuéliens, le 27 février 1989.
A qui, par exemple, va profiter le système de retraites par capitalisation que prétend instaurer la MUD ? Et, lorsqu’elle insiste sur la participation du secteur privé à la construction des routes, comme le mentionne l´article 1126, la droite vénézuélienne pense-t-elle réellement que les entreprises de travaux publics se convertiront soudain à la philanthropie pour bâtir des voies de communication dans les zones les plus reculées du Venezuela ?
Le projet néolibéral que veulent (ré)instaurer la MUD et le candidat Capriles va à l’encontre des intérêts de la grande majorité des Vénézuéliens, et en particulier des entrepreneurs et de la classe moyenne du pays. Mais ils comptent sur les médias nationaux et étrangers pour lui donner un habillage « progressiste »…