Conclusion provisoire donc… Provisoire car les témoignages de membres de l’opposition à la charge des pratiques mafieuses, putchistes, anti-sociales de la chaîne privée ne devrait pas s’arrêter là. L’opposition vénézuélienne si prompte à invoquer l’autocensure sous la pression d’intérêt politique fait aujourd’hui preuve d’une amnésie collective sur les pratiques de RCTV. On comprend l’enjeu stratégique. Il faut apparaître uni pour défendre « la liberté d’expression au Venezuela » même si dans la pratique cela vient à soutenir les véritables assassins historiques de cette liberté d’expression. Les flopés d’insultes contre Rhonna Ottolina (cf. 1ere partie) publié en réponse à son texte sur le site Noticiero Digital (1) montrent bien que ce témoignage dérange, non pas pour sa véracité, mais parce que « ce n’est pas le moment ». Conclusion provisoire dans ce sens, car on imagine aisément que les langues vont se délier une fois passé le 27 mai 2007, une fois contrôlées les intentions destabilisatrices qui vont accompagné la fin du signal hertzien de RCTV.
Conclusion provisoire car dés le 28 mai 2007, commencera une nouvelle voie dans la construction du spectre médiatique dans le Socialisme du XXIe siècle vénézuélien. En effet, pour réagir au quasi monopole privé sur la télévision vénézuélienne – prés de 80% des chaînes de télévision (2) -, le gouvernement vénézuélien avait réagit, jusqu’alors de quatre manières différentes.
Premièrement, il avait réorienté la ligne, calquée sur les télévisions commerciales- de la chaîne d’Etat Venezuela de Television (VTV). Aujourd’hui, VTV est une chaîne d’information, avec des émissions politiques et culturelles, et retransmet les discours du président en direct.
Deuxièmement, le gouvernement a favorisé l’émergence de media communautaires et alternatifs, notamment en les subventionnant au moyen de publicité. Les critères retenus pour l’obtention d’une telle subvention sont d’ordre communautaire et citoyens, et non d’ordre idéologique. On pourrait penser que le gouvernement tient la laisse financière, et que donc la moindre critique équivaudrait à la fin des subventions, comme c’était le cas sous la IVe République. Or, d’une part, rien n’empêche les media communautaires de passer de la publicité pour les commerçants du quartier, d’accepter des dons, d’organiser des évènements pour collecter des fonds. Ces pratiques ont déjà été mises à l’œuvre par un nombre non négligeable de ces media locaux. D’autre part, l’Association Nationale des Media Communautaires, Libres et Alternatifs (AMNCLA) qui regroupent toutes sortes de media non commerciaux et non gouvernementaux, est une des organisation les plus critiques à l’intérieur du camps socialiste. (3)
Les media communautaires sont devenues la voix des citoyens ordinaires pour dénoncer les cas de corruption à petite échelle, ou les incohérences d’un Etat décentralisé dont les conséquences frappent les populations locales. Ni leur attachement à la Révolution, ni la dépendance relative aux subsides de l’Etat ne les rends aveugles. Ils sont un des garants principaux de l’autocritique permanente et de la fondation du Socialisme. Au début de 2007, on totalisait au Venezuela 446 media communautaires ou alternatifs, dont 26 chaînes de télévisions ! (4)
Troisièmement, la création en 2003 de ViVe TV, une chaîne appartenant à l’Etat, disposant d’une couverture nationale (ou quasiment nationale) et qui fonctionne sur la base du travail communautaire. ViVe TV est un laboratoire pour inventer un nouveau rapport à l’image, un nouveau contenu du message diffusé. Bref, une tentative d’instaurer une télévision adaptée aux références cognitives des citoyens du Socialisme du XXIe siècle. (5)
Quatrièmement, le gouvernement vénézuélien a été un des moteurs principal dans la création de la chaîne interétatique latino-américaine Telesur, chaîne d’information et de culture qui tente de montrer au niveau international le point de vue des peuples latino-américains, leurs luttes, leurs traditions. Et ce, pour contrebalancer la représentation imposée par les grandes chaînes de l’occident (CNN, BBC, etc..) des enjeux en Amérique Latine. (6)
Loin de séquestrer la liberté d’expression, le gouvernement bolivarien a offert aux millions de vénézuéliens qui ne se reconnaissaient pas dans les émissions racoleuses ou les telenovelas des chaînes commerciales, la possibilité d’écouter et de voir un autre discours plus proche de leur réalité quotidienne, en symbiose avec leur vécu. Le lancement d’une chaîne de service publique à travers la concession délivrée depuis la dictature de Perez Jimenez à RCTV va inaugurer un autre front de combat dans cette appropriation citoyenne des media de communication.
Liberté d’expression ou liberté d’entreprise ?
La liberté d’expression est consacrée par l’article 57 de la Constitution bolivarienne. Celui-ci affirme que « toute personne a le droit d’exprimer librement ses pensées, ses idées ou opinons de vive voix, par écrit ou à travers n’importe quelle forme d’expression ». La liberté d’association (article 52 de la Constitution), la liberté de se réunir dans des lieux public (article 53) et la liberté de communication (article 58) viennent renforcer cette liberté fondamentale. En ce sens, il y a plus de liberté d’expression que dans n’importe quels autres pays démocratiques.
En effet, l’opposition minoritaire peut tranquillement manifester son rejet du gouvernement et ses portes paroles sont systématiquement relayées par des media commerciaux qui se sont transformés en véritables acteurs politiques, et représentent quelques 70% du spectre médiatique vénézuélien (TV, Radio, Presse écrite). Le gouvernement ne contrôle en rien la diffusion de message sur Internet, et il est courant d’y rencontrer des appels à la violence, à l’insubordination, voire à la guérilla urbaine émis par des groupes radicaux d’opposition.
Malgré la participation active des media commerciaux au Coup d’Etat d’Avril 2002 et au sabotage économique de décembre 2002-février 2003, qui s’était soldé par une perte de 15 milliards de dollars dans le budget de l’Etat, aucun media n’a été fermé ou censuré par le gouvernement bolivarien.
En décembre 2004, fut votée la loi sur la Responsabilité Sociale à la Radio et à la Télévision (loi RESORTE) afin d’instaurer un système de réglementations légales dans le pays. Cette loi est similaire mais beaucoup moins strict que celles qui régissent le CSA français ou le FCC étatsunien. Malgré sa flexibilité, la grande majorité des media commerciaux vénézuéliens continue de la violer impunément.
Comme on peut le voir, soutenir que le gouvernement bolivarien est en train de massacrer la liberté d’expression est non seulement faux mais aussi absurde si l’on s’accorde à considérer le sujet avec un minimum d’objectivité. En revanche, il semble tout à fait logique que les chiens de garde du capital (leaders de l’opposition vénézuélienne, Société Interaméricaine de Presse, Freedom House, Reporters Sans Frontières, etc…) aboient rageusement au niveau international. Ou peuvent ils encore créer la confusion et le doute sur la dictature qui n’en finit pas de ramper au Venezuela ? Discrédités auprès des premiers intéressés, les citoyens vénézuéliens, la calomnie ne peut avoir d’impact qu’à l’extérieur, pour créer un laisser faire en cas de déstabilisation du gouvernement bolivarien. « L’opinion, ça se travaille ! », que ça soit pour le Kosovo ou pour le Venezuela. (7)
L’offensive n’est pas mince, car la liberté d’expression est une des garanties de la démocratie. Mais bien souvent, on confond la liberté d’expression avec la liberté accordée à de grands groupes médiatiques pour imposer leur vision capitaliste, mercantile, sexiste et raciste de la communication et de l’information à la grande majorité, c’est-à-dire la communauté de citoyens que forment les téléspectateurs, lecteurs ou auditeurs. Au Venezuela, le gouvernement a décidé que la ligne éditoriale d’une chaîne de télévision qui utilise une concession hertzienne allouée par l’Etat ne devait plus être décidé par un entrepreneur en fonction de ses intérêts capitalistes mais par le Peuple souverain. De la même manière que le gouvernement renationalise des entreprises stratégiques ou redistribue des terres aux paysans, la Révolution bolivarienne entends faire passer l’intérêt collectif au dessus des bénéfices privés, dans tous les domaines y compris celui de l’Information.
Le latifundio médiatique.
Le paysage médiatique vénézuélien est à l’image des latifudios qui parsèment encore le pays. De grands espaces privés dont l’usage n’est pas dirigé vers la majorité, vers l’intérêt national, mais est destiné à enrichir son propriétaire.
De la même manière que les grands propriétaires fonciers ont agrandit leur immenses propriétés au méprit de la loi, quittant la terre aux paysans, et imposant par là le propre choix de ne pas utiliser cette terre pour produire et participer à la souveraineté alimentaire, le latifundio médiatique a prospéré à l’ombre d’un pouvoir politique corrompu et élitaire (8), a atomisé et réduit au silence la production audiovisuelle indépendante, et imposé ses critères de rentabilités au mépris de l’éducation populaire et/ou citoyenne que peut jouer une chaîne de télévision. Bref, entre des mannequins à moitié nus et « Qui veut gagner des millions ? » (que diffuse RCTV), le latifundio médiatique vénézuélien s’est destiné à vendre « un temps de cerveau humain disponible à Coca-Cola » (9), à la bière Polar, à Mac Donalds et plus généralement à toutes les entreprises qui finance son opération de décervelage.
Cependant, dans ce grand système de latinfundio, les paysans sans terre de l’information se sont rebellés. Appuyé en ce sens par l’Etat, ils réclament aujourd’hui leur participation à une production de l’information, respectueuse de la loi et orienté vers le développement culturel et social de la Nation.
A la différence de VTV ou dans une certaine mesure ViVe TV, la nouvelle chaîne qui occupera la concession de RCTV sera une chaîne de service public ou les programmes seront à la charge de Producteurs Nationaux Indépendants et d’un réseau national composé par les 26 télévisions communautaires. Des débats sont organisés dans tout le Venezuela pour convenir collectivement du type de télévision que souhaite la grande majorité des vénézuéliens. Le Ministère du Pouvoir Populaire pour la Communication et l’Information a fait imprimé des milliers de grille de programmes vide en invitant les citoyens à les remplir selon leurs préférences, leurs goûts, leurs espérances pour définir les contours d’une télévision au service du Peuple et de la Nation. La guerre contre le latifundio lançée par le président Chavez a désormais ses répercussions dans la sphère de l’information.
Vers une Socialisation des moyens de production de l’Information.
Le non-renouvellement de la concession à RCTV tel qu’il est inscrit dans la loi (10) est un bon indicateur de la construction actuelle du Socialisme du XXIe siècle vénézuélien.
Tout d’abord l’aspect pacifique, démocratique et légaliste de ce socialisme. Tout comme l’expropriation de certaines terres en friches obéissent à un système de négociation qui peut paraître modéré face à l’urgence sociale de la situation des paysans sans terre (11), il n’y a eut au Venezuela aucune expropriation ou fermeture de chaînes de télévision qui se sont pourtant distinguées par l’orchestration de la déstabilisation du gouvernement élu et la violation des lois en vigueur. Le gouvernement a préféré attendre la fin de la concession de RCTV alors qu’au vu des multiples infractions à la loi RESORTE, il aurait pu en toute légalité révoquer la concession ou interdit d’émettre pour une durée temporaire. Le gouvernement est même en pour parler avec la direction de RCTV pour racheter ses émetteurs au niveau national.
La société vénézuélienne est dans une période de transition vers le Socialisme du XXIe siècle. Le débat autour de la propriété privée des moyens de productions se traduit dans les faits actuels par une persistance du capital privé dans l’économie du pays. De fait, au niveau médiatique, il n’y a aucune intention de nationaliser les chaînes de télévisions privées (et tous les media en général) ou de leur révoquer la concession pour peu qu’elles respectent la loi. A travers du régime de concessions dont l’Etat à la charge, toutes les chaînes de télévisions privées continueront à émettre : Televen, La Télé, Vale TV, Venevision au niveau national, mais aussi les 26 chaînes communautaires, la quarantaine de chaînes régionales, ainsi que 400 fréquences de radio. La grande majorité de ces media sont très critiques par rapport au gouvernement mais respectent la loi. Globovision, fer de lance de la propagande de guerre contre le gouvernement et délinquant multirécidiviste ne devrait pas voir sa concession renouvelée en 2015. Concrètement donc, il n’y a pas encore au Venezuela d’attaques directes contre le capital des six grands groupes médiatiques, tout comme les grands groupes économiques et financiers sont invités, pour l’instant, à participer activement à la construction et au développement du Venezuela, et à ne plus s’enrichir au dépends des citoyens et de la Nation.
Dans le cas de RCTV, le rapport de l’Etat avec les travailleurs et avec les communautés organisées s’inscrit aussi dans la perspective plus large du processus socialiste. En effet, si l’Etat va être le prochain locataire de la concession hertzienne, cela n’implique pas qu’il crée une télévision centralisée, totalement inféodée au Ministère du Pouvoir Populaire pour la Communication et l’Information. Le conseil d’administration de la nouvelle chaîne est composé de journalistes reconnus et de personnes issues des organisations populaires et des media communautaires. Et si le gouvernement mène les discussions relatives à la composition du conseil d’administration, c’est en vertu des 63% des vénézuéliens qui ont affirmé leur confiance dans le projet socialiste, et non pas par la position de domination que lui donne un quelconque pouvoir économique.
De plus, les citoyens vénézuéliens sont invités à participer à l’élaboration du contenu de la chaîne. Les Producteurs Nationaux Indépendants (chavistes ou d’opposition) disposeront, quand à eux, d’une concession à l’intérieur de la nouvelle chaîne pour appliquer la décision populaire. Concession qui sera supprimée en cas d’infraction aux lois du pays.
Cette volonté de ne pas accaparer le pouvoir médiatique, et économique, au sein d’un espace étatique de décision centralisée est une des caractéristiques du Socialisme en construction au Venezuela ; fruit de l’analyse des expériences passées.
Le choix souverain du gouvernement de réserver la concession de RCTV pour la production populaire peut être considéré comme le début d’une socialisation des moyens de production de l’Information. La participation du Peuple à la création d’une télévision publique pour le peuple va donc, à l’inverse des matrices d’opinions internationales, renforcer la liberté d’expression, et entériner la démocratie participative et protagoniste.
Notes:
(1) Voir http://www.noticierodigital.com/forum/viewtopic.php?p=2086080&highlight=
(2) Selon le livre blanc de RCTV, disponible en espagnol sur http://www.minci.gov.ve/doc/libro_blanco_RCTV-Web.pdf
(3) Voir leur site internet : http://www.medioscomunitarios.org/pag/index.php?id=1
(4) Voir Agencia Bolivariana de Noticias, Democratización de la comunicación se refleja en 443 medios alternativos, http://www.abn.info.ve/reportaje_detalle.php?articulo=484
(5) Renaud Lambert, « Venezuela : ViVe TV ou la communication au service d’une citoyenneté nouvelle ». Risal, http://risal.collectifs.net/article.php3?id_article=1097
(6) Voir Renaud Lambert, « Telesur : Le Sud s’arme pour renverser le monopole médiatique du Nord », Risal, http://risal.collectifs.net/article.php3?id_article=1596
(7) Voir Serge Halimi et Dominique Vidal, L’opinion, ça se travaille…, Paris : Agone, 2000.
(8) Voir la 3e partie de notre série sur ce site « L’opposition vénézuélienne parle de RCTV : Carlos Ball, les obstacles au journalisme »,
(9) Comme a dit Patrick Le Lay, PDG de TF1à propos du rôle de sa chaîne. Voir Isabelle Roberts, Cerveau disponible et autres perles, Libération, 22/02/07.
http://www.liberation.fr/actualite/medias/236616.FR.php
(10) Gazette officielle n°33.726 du 27 mai 1987.
(11) Voir Luis Hernandez Navarro, Les paradoxes d’une réforme agraire, Risal, http://risal.collectifs.net/article.php3?id_article=1405