Conformément au décret présidentiel 1.666, 5654 Comités de Terre Urbains se sont créés au Venezuela. Leur rôle est de faire un relevé cadastral des zones les plus pauvres du pays, un recensement de ses habitants et une collecte de leur histoire. Ces organisations populaires qui tissent des liens privilégiés avec l’Office Technique National pour la Régularisation de la Terre a distribué, au cours de l’année 2003-2004, 70.762 titres de propriété dont ont bénéficié 532.413 personnes.
Les milliers de petites lumières qui surgissent des collines, la nuit, à Caracas, font penser à une voie lactée qui se perd à l’horizon. Mais lorsque le jour se lève cet aspect onirique est vite occulté par une dure réalité. Des centaines de milliers de ranchos sont installés sur les hauteurs de la capitale vénézuélienne, constituant les quartiers les plus pauvres de la ville.
Dès les années 50, poussés par le rêve d une vie meilleure et au cours de la décennie suivante par la reforme agraire échouée de Romulo Betancourt , des milliers de paysans de l’intérieur ont émigré vers les grandes villes. Caracas a été une des principales destinations de cet exode rural. L’arrivée en ville a souvent été une désillusion sur le miracle de l’environnement urbain. Pour se loger, les nouveaux habitants ont commencé à construire des habitations de fortune sur les collines environnantes. Cette colonisation sauvage d’un espace vital s’est faite en toute illégalité.
Cette illégalité a traversé 40 ans d’histoire du Venezuela. Pendant tout ce temps, la démocratie formelle punto-fijiste n’a jamais régularisé la situation des premiers pionniers et de ceux qui, chaque année, faisaient croître l’expansion urbaine aux abords des villes vénézuéliennes. Sans aucun titre de propriété, les habitants des barrios étaient condamnés aux oubliettes sociales : impossible de demander un prêt, difficulté pour l’accès aux services sanitaires de base et à l’eau potable, pas de reconnaissance citoyenne. Des centaines de milliers de citoyens vénézuéliens et étrangers furent rabaissés à l’état de spectres sociaux, sans existence véritable.
Pour lutter contre cette exclusion sociale, et conformément à l’article 182 de la constitution bolivarienne, le président Hugo Chavez a promulgué , le 4 février 2002 le décret 1.666 relatif à la Régulation de la propriété de la terre.
Le décret 1.666 donne naissance au Comités de Terres Urbains (C.T.U.)
L’objectif de ce décret présidentiel est de régler les problèmes liés à la propriété de la terre en zone urbaine, en comptant sur la participation active des communautés à ce processus de légalisation.
Pour ce faire, l’article 3.1 du décret propose de « stimuler la participation citoyenne à travers la formation de Comités de Terre Urbains (C.T.U.) ». Lui faisant écho, l’article 8.3 c) stipule que « dans chaque barrio et urbanisation populaire les CTU s’organiseront pour initier des processus de discussions afin de définir et décider les moyens qui doivent être adoptés dans le quartier pour améliorer la question de l’habitat. »
Pour se conformer au décret 1.666, les habitants des barrios ont tenu des assemblées générales pour s’approprier le texte de loi, le discuter, et au final créer des CTU et élire ses coordinateurs. A la fin de l’année 2004, le Venezuela bolivarien comptait 5654 CTU, prenant en charge 831.138 familles c’est à dire 4.155.690 habitants sur la totalité du pays.
Ces organisations populaires, qui fonctionnent de manière horizontale de transmettre les demandes de titres de propriétés des habitants du barrio à l’Office Technique National pour la Régularisation de la Terre (OFNTR), créé à cet effet.
Recensement
Le premier travail des CTU fut d’opérer un recensement précis des personnes vivant dans leur secteur. Autour de 200 familles par secteur furent ainsi répertoriées en fonction de l’infrastructure de leur immeuble, et des conditions socio-economique dans lesquelles ces personnes vivent.
« Notre CTU, qui est composé d’une quinzaine de personnes, a parcouru le quartier pour recenser toutes les familles en vue de l’obtention du titre de propriété » nous dit Gabriela, membre du CTU du secteur Lidice.
Le recensement compte le nombre de familles par maison, le temps de résidence, la population active au sein de l’habitat et l’âge des habitants ainsi que leur niveau scolaire. Il a aussi permis au CTU de répertorier les maisons qui avaient besoin d être réparées voire reconstruites. Ce travail de recensement a porté ses fruits et, pour l’année 2003/2004, 70.762 titres de propriété ont été distribués profitant à 532.413 personnes.
Relevé cadastral
Le second travail des CTU a été de procéder à la création du cadastre de leur quartier. Pour ce faire des coopératives de professionnels (géographes, urbanistes, ingénieurs) ont accompagné des coopératives « d’assistants cadastraux » formés, avec l’aide du CTU, de personnes de la communauté (souvent ayant un lien avec le secteur du bâtiment).
La formation des coopératives « d’assistants cadastraux » a eu une retombée économique positive. Les coopératives créées par les CTU ont généré 1.069 emplois. Et l’Etat qui se chargeait de financer cette opération a réalisé une économie de 65% par rapport au coût que proposent les entreprises cadastrales privées qui dominent le marché.
L’alliance du savoir technique et du savoir populaire a permis d’établir un plan cadastral précis des quartiers populaires urbains. Symboliquement et politiquement, elle a fait surgir de terre des centaines de mètres carrés habités voués à l’oubli depuis de longues décennies.
Mémoire du barrio
Si ce relevé cadastre permet d’avoir une vue géographique complète de tous les quartiers des villes vénézuéliennes, l’histoire de ces lieux a elle aussi été récoltée. Comme les barrios n’ont eu aucune existence formelle durant les années de la quatrième République, aucune monographie historique n’avait été dressée. Une part importante de la population vénézuélienne n’existait ni sur une carte, ni dans la mémoire nationale collective.
Pour pallier à cet assassinat symbolique, les CTU ont récolté les témoignages des habitants pour reconstituer à travers les histoires de vie l’identité actuelle du barrio.
« Nous avons interrogé une veille dame, se souvient Luis du CTU Lidice, qui habite là depuis des dizaines d années, elle nous a expliqué comment c’était lorsqu’elle est arrivée. Il n’y avait rien, pas d’eau, pas de toilettes. C est grâce à cette transmission orale que l’on mesure nos avancées. »
Luis et ses partenaires ont tiré un film de ces témoignages. Le jour de sa diffusion, pas un membre de la communauté ne manquait à l’appel. Le besoin d’identification, d’une histoire propre, la joie de découvrir les origines du quartier ont, ce jour-là, outrepassé les générations, et renforcé le sentiment du vivre-ensemble.
Nouveaux objectifs : la lutte continue
Les objectifs initiaux des CTU précédemment cités, même s ils sont loin d’être finis, ont suscité une dynamique au sein de ces organisations.
Aujourd’hui, en plus de leurs travaux initiaux, les CTU s’occupent, en lien avec le Fundo Unico Social (Institut financier de l’Etat), d’organiser un système de prêt à faible taux d’intérêt pour les familles dont les logements nécessitent des travaux d’entretien ou de construction. Ce type de prêt, rendu possible par la délivrance du titre de propriété, assure à chacun le droit à vivre dans un environnement digne et sain.
D’autre part, les CTU ont entrepris de participer à la récente Mission Habitat, qui se propose de reloger des familles dont les habitations ont été endommagées par les pluies ou qui se trouvent en zone de haut risque.
A travers la question de la terre urbaine, c’est toute une organisation démocratique et une véritable participation citoyenne qui ont rendu possible ces nouvelles avancées du Venezuela bolivarien pour redonner une dignité à la majorité oubliée du pays.