Paolo A. Paranagua se trouverait donc à Caracas si l’on en croit la mention « envoyé spécial » qui accompagne ses récents articles de propagande contre le gouvernement bolivarien.
Cette fois, c’est le portrait d’une « grande vedette de la télévision vénézuélienne », qu’il nous dresse dans Le Monde du 25 mai 2007 (1). Il s’agit de Miguel Angel Rodriguez, présentateur de l’émission « La entrevista » diffusée tous les matins sur RCTV, le TF1 vénézuélien.
Cette émission n’est pas critique par rapport à l’action du gouvernement, elle est carrément hostile. Tous les moyens sont bons pour discréditer le gouvernement. Du trucage médiatique aux plus grosses calomnies.
Le 5 mai au matin, les Vénézuéliens qui se réveillent avec Miguel Angel Rodriguez ont été témoins d’une manipulation de la sorte. Le présentateur commente un extrait de la conférence de presse du directeur du Corps d’Investigation Scientifique, Pénale et Criminelle (CICPC, l’équivalent vénézuélien du FBI). Lors de sa déclaration, le directeur du CICPC, Marcos Chavez, énumère les 219.000 DELITS (delitos en espagnol) commis au Venezuela depuis 2004. Une légère baisse, mais le chiffre reste élevé.
Mais Miguel Angel s’emballe, il a déjà son scénario tout prêt : « Chers téléspectateurs, nous allons repasser en image cette déclaration. » On peut alors réécouter Marcos Chavez parler de 219.000 délits commis. Miguel Angel regarde alors la caméra fixement et, avec une rage quasi-hystérique, il hurle au téléspectateur : « Rendez-vous compte ! 219.000 homicides depuis 2004, mais dans quel pays vivons-nous ? »
Peut-il se tromper alors qu’il vient lui-même de diffuser deux fois l’extrait de la conférence de presse, qu’il vient d’écouter, par deux fois, le directeur du CICPC parler de « délits » et non d’homicides ? Jusqu’à preuve du contraire, le vol d’un téléphone portable, même si cela reste un acte punissable, n’est en rien comparable à un assassinat.
Autre exemple des pratiques de notre présentateur – star… Peu avant les élections présidentielles de décembre 2006, le Conseil National Electoral (CNE) interdit aux médias nationaux de publier des sondages à la sortie des urnes. Cette pratique a été une tactique essentielle des diverses « révolutions oranges » en Europe de l’Est et au Caucase, où l’entreprise étatsunienne Penn, Schoen & Burland, diffusait des sondages trompeurs présentant toujours le camp pro-étatsunien comme largement vainqueur. (2)
Au Venezuela, la même tactique avait déjà été utilisée durant le référendum révocatoire en aout 2004. Penn, Schoen & Burland donnait l’opposition gagnante avec 60%. En réalité, ce fut Chavez qui obtint ce chiffre, les résultats officiels étant confirmés par tous les observateurs internationaux.
Devant cette interdiction de diffuser des sondages sortie des urnes, Miguel Angel Rodriguez s’insurge. Il y a de quoi, le pouvoir électoral vient de couper l’herbe sous le pied de l’opposition putchiste : « Mais enfin, la publications des sondages à la sortie des urnes est une pratique UNIVERSELLE ! », prétend-il.
Chers lecteurs français, il ne sert à rien que vous écriviez à ce « grand journaliste » pour l’informer qu’en France aussi, c’est interdit. Miguel Angel – qu’on ne peut qualifier d’idiot – le sait très bien. Mais il a ainsi injecté à ses téléspectateurs un sentiment d’injustice flagrante. Les amenant à soupçonner la préparation d’une fraude généralisée.
De tels exemples, nous pourrions les multiplier. Nous pourrions rajouter que les partisans du gouvernement sont régulièrement qualifiés de « milices », de « guérilleros urbains », et « d’envahisseurs » dans le cas des paysans sans terre. En fait, Miguel Angel Rodriguez, bien loin d’exercer la noble profession de journaliste, est un acteur politique sans scrupules à qui RCTV a offert deux heures de grande audience.
Visiblement, l’envoyé spécial du Monde, Paolo A. Paranagua n’a pas pris le temps de visionner l’émission de RCTV avant de faire l’éloge de son présentateur. Ou alors partagerait-il les mêmes valeurs d’information partiale et réactionnaire de son homologue vénézuélien ? Cette partialité serait alors inquiétante pour le droit à être informé dont tous les citoyens français devraient jouir.
Comment expliquer cette partialité de Rodriguez ? L’avocate Eva Golinger (3) s’y est attachée. Elle vient de dévoiler des documents déclassifiés des Affaires étrangères étasuniennes. Ces documents établissent que le héros de Monsieur Paraguana a reçu, comme une quinzaine de journalistes de l’opposition, une bourse de ce ministère.
Miguel Angel Rodriguez a recu un financement de 6.085 US$. L’intéressé ne démentira pas. Comment le pourrait-il ? Il se contentera de souligner que 6.085 US$, ce n’est pas une grosse somme (juste vingt fois le salaire minimum vénézuélien). Il ajoutera que cette somme à laquelle se rajoutent ses nombreuses notes de frais lui a été allouée pour participer à un programme du Département d’Etat nommé « The Role of Media in US Society » (le rôle des médias dans la société étasunienne).
Certes, il ne s’agit que d’une bourse émanant du gouvernement des Etats-Unis. Mais sur ce point la loi étasunienne est formelle : « Les personnes ou organisations qui reçoivent des financements, des bourses ou des dons d’une agence des Etats-Unis sont considérés comme du personnel et protégés par la loi comme employés ou contractés du gouvernement des Etats-Unis. » (5 U.S.C. § 552 (b)(6), Norwood v. FAA, 580 F.Supp. 994 (WD Tenn. 1983).
Pourquoi donc Paolo A. Paranagua, quand il fait l’éloge de Miguel Angel Rodriguez, omet-il de préciser qu’il défend un employé du gouvernement des USA, lequel est impliqué dans un coup d’Etat contre le gouvernement bolivarien ? Pourquoi donc le Monde ne publie-t-il pas un rectificatif ou une modération de l’article de Paranagua ? Pourquoi donc les citoyens français doivent-ils être manipulés de la même manière que les Vénézuéliens le sont par leurs médias commerciaux ?
Les révélations d’Eva Golinger ne s’arrêtent pas là. En effet, un autre document déclassifié du département d’Etat, datant de mars 2001, indique : « Comme dans presque tous les programmes du « journalisme IV » [le programme mis en place par le département d’Etat qui concerne ces journalistes vénézuéliens], notre objectif est d’informer le participant sur les pratiques et règles du journalisme aux Etats-Unis, particulièrement dans le domaine du journalisme civique, pour pouvoir influer sur la manière, et plus tard, sur la couverture donnée sur des sujets importants de la politique extérieure étasunienne, et pour consolider le processus démocratique aux Venezuela. »
Les objectifs de ce type de programme d’échange sont donc limpides. Il s’agit ni plus ni moins que de s’installer confortablement au cœur des médias commerciaux vénézuéliens pour orienter l’opinion vénézuélienne en faveur des intérêts du gouvernement US. Ainsi, Paolo A. Paraguana nous indique que Miguel Angel Rodriguez « verrait bien le chef de l’Etat comparaître devant des tribunaux ou devant une cour internationale pour « violation des droits de l’homme« . Rien que ça ! Cette Cour sera-t-elle financée par les Etats-Unis comme le Tribunal Pénal International pour la Yougoslavie ? Chavez pourrait-il alors mourir en prison avant d’être jugé, comme Milosevic ? En tout cas, cette remarque de l’employé du Département d’Etat n’a pas choqué l’envoyé spécial du Monde. Quant à la « consolidation du processus démocratique au Venezuela », ce sont précisément les Etats-Unis et leurs employés qui l’ont à maintes reprises bafouée, notamment en organisant le coup d’Etat de 2002.
Encore plus éclairant, et permettant de dissiper les derniers doutes : le rapport émis par le Département d’Etat sur Enrique Reynaldo Trombetta, un autre participant au programme « journalisme IV » : « Nous espérons que la participation de Mr. Trombetta comme boursier de type IV sera directement reflétée dans ses reportages sur des thèmes politiques et internationaux. Au cours de son ascension dans sa carrière, nos liens profonds avec lui signifieront un ami potentiel important en position d’influence éditoriale. (…) Ceci veut dire qu’il aura une influence significative sur les autres journaux en ce qui concerne les sujets importants pour l’ambassade, comme l’ALCA et la politique anti-terroriste. Cela pourra se traduire par une compréhension meilleure et une sympathie pour les positions des Etats-Unis, et ça se reflétera dans ses reportages. » (Document déclassifié du Département d’Etat datant d’août 2002, soit quatre mois après le Coup d’Etat).
L’objectif est clair et la technique n’est pas neuve, elle a déjà fait ses preuves dans d’autres pays avec d’autres « journalistes indépendants ». Nous imaginons certainement que Paolo A. Paraguana – qui ne débute pas dans le métier – a déjà entendu parlé de ce type de pratique du gouvernement des Etats-Unis. Alors pourquoi avoir dressé une telle hagiographie d’un employé du gouvernement des Etats-Unis ? Le rôle du Monde ne devrait-il pas être d’informer les lecteurs français sur ce qui se passe vraiment au Venezuela ?
Le journaliste du Monde, dont l’objectif de la présence à Caracas nous échappe, n’a donc pas assisté à la conférence de presse où l’avocate Eva Golinger a dévoilé ces documents du Département d’Etat que nous mentionnons. Certainement trop occupé à se faire le porte-parole de l’opposition vénézuélienne radicale, Paranagua n’a même pas lu tous les journaux qui se font l’écho de cette conférence de presse. Le lecteur du Monde n’en saura donc rien.
Pourquoi ?
Notes:
(1) Paolo A. Paranagua, « Miguel Angel Rodriguez, une voix de trop pour Hugo Chavez », Le Monde, 25/05/07. http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3222,36-914730@51-897252,0.html
(2) Voir Romain Migus, « Derrière le masque démocratique de l’opposition vénézuélienne », Risal, http://risal.collectifs.net/article.php3?id_article=1965
(3) Auteur en français de l’ouvrage incontournable : Code Chavez : CIA contre Venezuela, éd. Oser Dire, 2006. Ouvrage disponible en écrivant à [email protected]