Interview de Aloha Nuñez, ministre du pouvoir populaire pour les Peuples indigènes
Le thème des peuples indigènes a été une source d’attaque permanente contre les différents gouvernements progressistes d’Amérique Latine. Alors que la majorité des peuples autochtones soutiennent ou ont soutenu fermement les processus révolutionnaires, nombreuses sont les organisations ou les ONGs qui critiquent leurs actions.
Quels ont été les avancés dans ce domaine au sein de la Révolution bolivarienne ? Qu’est-ce qui a changé depuis l’arrivée d’Hugo Chávez au pouvoir pour les peuples indigènes ? Est-il vrai que le président Maduro ait ordonné un massacre des indiens pémons, à la frontière avec le Brésil, le 23 février 2019 ?
Pour répondre à toutes ces questions, nous avons été discuter avec Aloha Nuñez, Ministre des Peuples Indigènes du Venezuela. La plus haute autorité de l’Etat en la matière nous accueille au siège du ministère, un immeuble vétuste du centre de Caracas. Au dernier étage, des posters à l’effigie des luttes des peuples indigènes d’Amérique Latine ornent les murs, comme pour signifier que les efforts déployés par l’administration du président Maduro ne s’arrêtent pas aux frontières du pays.
Aloha Nuñez est une jeune femme de l’ethnie wayuu, le peuple dont le territoire est à cheval entre le nord du Venezuela et la région de la Guajira colombienne. Dès ses études à l’Université du Zulia, dans la ville de Maracaibo, elle s’investit dans la défense des droits de son peuple. A 24 ans, elle devient vice-ministre des peuples indigènes, puis à 29 ans, elle est investit ministre par le ComandanteHugo Chávez. Elle sera élue député à l’Assemblée Nationale en 2015, et deviendra la présidente du Parlement Indigène des Amérique en 2016. Après un bref passage à l’Assemblée Constituante en 2017, le président Maduro renouvellera sa confiance dans son administration en la nommant de nouveau ministre des Peuples indigènes du Venezuela en janvier 2018. Toute la trajectoire sa vie a été dédiée à la défense de la cause indigène.
Avant de commencer l’interview, nous buvons un café dans le petit bureau où elle nous reçoit, habillé de la robe traditionnelle wayuu. Derrière elle trône un poster d’Hugo Chávez, ainsi que le portrait officiel du président Maduro. Aux cotés des deux leaders de la Révolution est affiché le plan d’un centre de formation et de production d’agriculture et d’élevage s’inspirant de l’architecture Ye’kwana, un peuple de l’Amazonie vénézuélienne et brésilienne.
Au fil des présentations, elle nous demande « l’interview est en audio ou en vidéo? ». Comme nous lui indiquons que nous allons la filmer, elle sort immédiatement de son sac une petite trousse de toilette, et ajuste son maquillage en nous glissant : « je suis indigène mais femme aussi. On reviendra sur les stéréotypes qu’on nous colle à la peau depuis trop d’années ». L’interview s’annonce passionnante. Elle le sera.
Amateur d’indigénisme occidental, d’ONGs coloniales ou dévots de la doxa médiatique dominante, il est encore temps d’arrêter votre lecture, car la ministre, avec son franc parler, va nous livrer un autre son de cloche, et lever le voile sur une vérité largement occultée par les entreprises de propagande anti-bolivarienne.
Avec Aloha Nuñez (Caracas, août 2019)
Romain Migus: Quelle était la situation des peuples indigènes avant la Révolution bolivarienne?
Aloha Nuñez: Avant la Révolution, nous, les indigènes, nous n’avions pas d’existence légale, ni aucun droit constitutionnel. Seul l’article 77 de la Constitution de 1961, établissait un régime d’exception afin d’incorporer les peuples indigènes à la vie de la Nation (1). En d’autres termes, nous n’étions même pas vu comme partie intégrante de la Nation, ni n’étions considérés comme des citoyens à part entière. C’est pour cela que l’ancienne Constitution mentionne l’établissement d’un régime spécial pour les peuples indigènes. Ça, c’était notre réalité avant la Révolution. Du coup, les peuples indigènes étaient en lutte pour qu’on les reconnaisse. Ils se battaient pour imposer leurs droits au sein de la collectivité nationale. Mais ils n’étaient pas écoutés et n’avaient aucune forme de participation politique. Avec l’avènement de la Révolution bolivarienne en 1999, tout a changé.
Romain Migus: Quelles ont été les principales réussites de la Révolution bolivarienne pour les droits des peuples indigènes ?
Aloha Nuñez: Avec l’arrivée au pouvoir de Hugo Chávez, il y a eu une véritable volonté politique de changer les choses, et de s’impliquer dans les droits des peuples indigènes. C’était même un des thèmes de campagne du ComandanteChávez. Lorsqu’il était candidat à sa première élection en 1998, il s’est réunit avec plusieurs leaders de communautés indigènes. Et il a promis de régler cette dette historique de plus de 500 ans que le pays avait avec ses peuples indigènes. Non seulement, Chávez souhaitait les intégrer pleinement à la collectivité nationale mais surtout il voulait qu’ils aient réellement la possibilité de participer politiquement à la vie de la République. Lorsque le ComandanteChávez a gagné les élections, il a immédiatement convoqué une Assemblée Nationale Constituante à laquelle sont incorporés trois députés élus au sein des peuples indigènes. Et pour la première fois de notre histoire, nous avons débattu des droits des peuples indigènes pour rédiger notre nouvelle constitution : de la reconnaissance des structures sociales indigènes, de la particularité des tissus économiques, de la reconnaissance des langues indigènes, du droit à l’éducation interculturel bilingue, de la reconnaissance des territoires ancestraux, des modes de santé alternatifs, etc. Tous ces nouveaux droits sont inscrits dans le marbre de notre Constitution, au chapitre 8, de l’article 119 à l’article 126 (2). Nous sommes passés d’un seul article, qui en plus nous marginalisait, dans l’ancienne Constitution à obtenir une véritable reconnaissance et un droit à la totale participation politique. Dans le préambule de la Constitution bolivarienne de 1999, le Venezuela est défini comme une société pluriethnique et multiculturelle.
A partir du moment où nous avons changé de Charte suprême, nous avons du élaborer tout un ensemble de lois, de règlements et de normes pour répondre aux exigences de notre Constitution. Nous avons établit la Loi de démarcation des terres et de l’habitat indigène, la Loi des langues indigènes, la Loi sur l’artisanat indigène, la Loi organique des Peuples indigènes. Nous avons crée l’Institut des langues indigènes. Nous avons amplement développé tous les droits des peuples autochtones. Cela a abouti en 2007 à créer le Ministère du Pouvoir Populaire pour les Peuples Indigènes afin de contribuer, depuis les structures de l’Etat, à résoudre les problèmes des communautés indigènes. En conséquence de toutes ces mesures, la participation politique des indigènes a explosé. Il y a désormais, des maires, des élus locaux, des députés indigènes. A l’Assemblée nationale, trois sièges sont réservés à des députés indigènes. Et bien sur, il y a une forte participation des peuples autochtones au sein du pouvoir populaire, et des Conseils Communaux (3). L’avènement de la Révolution bolivarienne représente une avancée sans précèdent dans l’histoire des droits des peuples indigènes au Venezuela.
Romain Migus: Comment s’articule la relation entre le Ministère et les différentes communautés indigènes? Quel est le rôle du Ministère du Pouvoir Populaire pour les Peuples Indigènes?
Aloha Nuñez: Le Ministère est une création de la Révolution bolivarienne. Dans un premier temps, nous avions défini un mode d’organisation par région. Chaque vice-ministre était en charge d’une partie du territoire vénézuélien. Cela nous a permit de tisser une relation directe avec les communautés indigènes. Aujourd’hui nous avons trois vice-ministères : celui chargé de la formation, de l’éducation bilingue et des savoirs ancestraux, un autre qui s’occupe de l’habitat, des terres, de l’identité et du développement communal, et enfin le troisième qui se charge du Bien Vivre (Buen Vivir) des Peuples indigènes. Nous disposons aussi de huit directeurs territoriaux qui font le lien avec les peuples et communautés sur le territoire dont ils ont la charge, ainsi que de plusieurs dizaines de promoteurs. Chaque promoteur est responsable de plusieurs communautés indigènes pour maintenir un lien direct entre eux et le ministère. Au Venezuela, il y a environ 3000 communautés indigènes, et 44 Peuples différents.
Qui plus est, en tant que ministre, je me déplace dans ces territoires toutes les semaines avec différents responsables du ministère. Nous nous incorporons aux Assemblées des Peuples indigènes, aux Assemblées communautaires, nous apportons des réponses pratiques aux différentes demandes. Le Ministère du Pouvoir Populaire des Peuples Indigènes est l’institution rectrice des politiques publiques de l’Etat pour les Peuples indigènes du Venezuela.
Nous nous organisons avec d’autres ministères et institutions du gouvernement bolivarien afin de coordonner les différentes politiques comme l’éducation interculturelle bilingue, la santé, l’éducation universitaire en territoire indigène, le système de protection sociale avec le Carnet de la Patrie (4). Notre rôle est d’assurer que toutes les politiques nationales et le système de missions sociales s’opèrent aussi dans les territoires indigènes. Le ministère a aussi des ressources propres pour développer des projets, notamment dans le domaine de la production, de l’éducation, et bien sur dans ce qui touche le Bien Vivre (Buen Vivir) des Peuples indigènes.
La ministre Aloha Nuñez (en rouge) lors d’une Assamblée dans une communauté du Peuple Pumé, dans l’Etat d’Apure
Romain Migus: Dans un pays comme le Venezuela, où une bonne partie de l’économie repose sur les secteurs pétroliers et miniers, comment gérez-vous les conflits qui peuvent surgir entre les démarcations de territoires indigènes et ces secteurs vitaux de l’économie nationale ?
Aloha Nuñez: Au Venezuela, la Révolution bolivarienne a adopté la Loi organique des Peuples et Communautés indigènes (5). Cette loi établit un processus spécifique de consultation avec les peuples indigènes lorsqu’un projet de concession minière ou pétrolière existe sur leur territoire. Cela permet de prévenir de futurs conflits. En tant que ministère, nous veillons à ce que cette loi s’applique et que les discussions avec les communautés aient lieu. Au sein de l’Arc Minier (6) se trouvent plus de cent communautés indigènes. Si une entreprise cherche à obtenir une concession minière sur un de ces territoires, nous le faisons connaître à la communauté et nous organisons des réunions pour que les membres de cette dernière puissent avoir accès à toutes les informations qu’ils souhaitent. En dernier lieu, c’est la communauté indigène qui décide ou non d’approuver le projet de concession. Les remarques et les corrections que les indigènes apportent au projet minier sont transférées par nos soins à l’entreprise ainsi qu’au Ministère du Développement Minier Écologique pour qu’ils le transforment en fonction des remarques de la communauté. Nous avons travaillé ainsi pour toutes les concessions qui voulaient s’implanter dans des territoires indigènes.
Romain Migus: En février 2019, les Etats-Unis et leurs alliés locaux et latino-américains ont essayé de violer la souveraineté du Venezuela, durant le show médiatico-politique de “l’aide humanitaire”. Les médias internationaux ont alors accusé le président Maduro d’avoir perpétré un “massacre”, voire un “génocide” des indiens Pémons, à la frontière avec le Brésil. Que s’est-il réellement passé le 22 et 23 février 2019 à la frontière venezolano-brésilienne ?
Aloha Nuñez: Nous avons subit une attaque médiatique contre la Révolution Bolivarienne, et bien sûr contre le président Maduro. Le peuple Pémon qui se trouve sur ce territoire est un peuple bien organisé. Ils possèdent une organisation interne qu’ils ont eux même établi. Chaque communauté a un responsable local, ainsi qu’un responsable général par secteur. En plus de cela, ils ont formé un conseil de chefs indigènes. Avant de répondre à ta question, il est impératif de comprendre l’organisation du peuple Pémon. Car aucun de ces responsables n’a dénoncé de “génocide” ou de “massacre” perpétré par le président Maduro. J’étais présente ce jour-là à la frontière avec le Brésil. J’ai vu de mes propres yeux ce qui s’était réellement passé. Cette zone est une zone minière. C’est d’ailleurs pour cela que le gouvernement a crée l’arc minier, pour tenter de réguler l’activité minière et empêcher l’extraction illégale d’or et de minerais. Cependant, il persiste dans cette zone de nombreux mafieux. Ce sont eux qui ont dirigé l’opération du 23 février 2019. Et le maire de la ville frontalière [Emilio González, d’opposition au gouvernement du président Maduro – NDT] s’est allié avec cette mafia. Plusieurs rapports et enquêtes soulignent la collusion entre ce maire et la mafia locale. Il existe des photos de ce maire lourdement armé ou se livrant à l’activité minière illégale. Pour être lui même Pémon, il prétend parler au nom de tous les Pémons. Mais ce n’est qu’un individu qui parle en son nom propre, et il n’est en aucun cas une autorité légitime du peuple Pémon.
Pas de pagnes, de plumes, de carquois ou d’arcs pour ces indiens, membres de la Guarde Territoriale Pémon liée au maire d’opposition Emilio Gonzalez (source : ElCooperante.com, un site lié à l’opposition)
Il y a une vidéo où on le voit supplier l’armée de le laisser en paix. C’est un vulgaire montage, l’armée ne lui faisait absolument rien. Bien, au contraire d’ailleurs, car c’est lui qui provoquait constamment les soldats. L’armée a été très professionnelle et n’a pas répondu aux provocations du maire. Mais cette vidéo a fait le tour du monde comme “preuve” que l’armée attaquait le peuple Pémon. Au contraire, ce jour-là il y eut un déferlement de violence contre l’armée. Mais très peu de pémons y ont participé. Seul le maire et quelques uns de ses supporters. Ceux qui se sont livrés à cette violence n’étaient pas pémons, ils ne vivaient même pas dans la zone. Et ça, ce sont les responsables pémons qui l’ont dénoncé. Car ce sont les pémons qui se sont affrontés à ces délinquants venus d’autres régions du pays pour semer la violence. A Santa Elena de Uairen, la ville frontalière, des snipers ont tiré depuis des immeubles sur des personnes qui ne participaient pas aux manifestations. C’était un plan orchestré par la mafia avec la complicité active du maire de la ville. Face à cette violence, les autorités légitimes du peuple Pémon –c’est pour cela que je t’expliquais comment ce peuple est organisé- se sont réunis avec moi ainsi qu’avec d’autres responsables de l’Etat ou de la Révolution pour nous manifester leur rejet de la violence et du comportement du maire.
Après le 23 février, le maire a fui au Brésil d’où il essaie de faire croire qu’il est victime de persécution politique de la part de l’Etat vénézuélien. Il n’y a jamais eu de persécution, il a traversé la frontière de son plein gré. Ce sont les autorités légitimes du peuple Pémon qui le disent. Voilà ce qui s’est passé ce jour là. Je compte sur toi pour que tu nous aides à diffuser la vérité. Ce que je te raconte, je l’ai vu, je l’ai vécu, j’étais sur place. Les pémons ont du affronter les bandes armées de l’opposition dans la ville frontalière, et notamment dans la zone del Escamoto. Les pémons patriotes, membres de la milice bolivarienne, ont défendu la garnison militaire des attaques de la mafia. Il y eu un affrontement très dur dans la zone de Kumara Kapay. Il y a eu des échanges de tirs, et il y a une enquête en cours pour déterminer les responsabilités. Mais trois soldats, dont une femme, ont été torturés ce jour là par un groupe extrémiste et minoritaire de pémons liés à l’opposition. Ils ont roué de coup les soldats, ils les ont fait dévorer par des fourmis rouges, ils leur ont jeté du piment dans les yeux. Ces gens là ne représentent pas la majorité ni la culture de paix du peuple Pémon. Ces exactions ont d’ailleurs été condamnées par les autorités légitimes du peuple Pémon.
Il faut que les gens qui nous liront sachent que les pémons qui ont dû faire face aux bandes armées de cette opposition apatride se sont réunis avec l’équipe technique de la Haute Commissaire aux Droits de l’Homme de l’ONU, Michelle Bachelet. 70 délégués pémons se sont réunis en mars 2019 dans une salle de l’aéroport de la ville de Puerto Ordaz avec l’équipe de Bachelet pour leur témoigner ce qui s’était réellement passé. Et qu’est-ce qu’ils ont fait de ces témoignages ? Rien. Bien au contraire, le rapport de Mme Bachelet n’a retenu que la version des agresseurs. Ils n’ont pas pris en compte le témoignage de 70 délégués pémons qui leur ont raconté ce qui s’était réellement passé le 23 février 2019.
Romain Migus: Incroyable…
Aloha Nuñez: La réunion a duré deux heures à Puerto Ordaz. On m’avait invité mais j’ai refusé d’y aller pour qu’on ne puisse pas dire que la ministre avait influencé les délégués du peuple Pémon qui ont simplement raconté ce qu’ils avaient vécu ce jour là. Ils ont décrit la peur qu’ils ont ressentis en voyant des bandes armées harceler des leaders de la Révolution bolivarienne ou des leaders des communautés indigènes pour les empêcher d’aller défendre leur Patrie, et empêcher une agression externe sous couvert “d’aide humanitaire”.
Romain Migus: Comment analyses tu le rôle des ONGs de défense des droits des peuples indigènes?
Aloha Nuñez: Les ONGs cherchent avant tout à recevoir de l’argent pour leurs organisations. Elles construisent une image négative de communautés sans défense pour pouvoir justifier leurs demandes de financement. Elles prétendent parler pour la totalité des Peuples et communautés indigènes. Au Venezuela, grâce à la Révolution bolivarienne et depuis l’arrivée du Comandante Chávez, les peuples indigènes ont une voix propre et un vote qui compte. Nous n’avons pas du tout besoin qu’une ONG viennent nous “représenter” et encore moins qu’elle vienne parler à notre place. A chaque fois qu’une ONG émet une déclaration, les communautés indigènes lui répondent et démontent leurs arguments. Une chose importante : ce n’est pas la ministre, ce n’est jamais moi qui dément les ONGs. La parole est toujours donnée au pouvoir populaire indigène. Sais tu où se concentrent les plus fort taux de vote pour la Révolution bolivarienne ? Dans les secteurs économiques les plus humbles du pays mais aussi dans les territoires indigènes. Nous avons des bureaux de vote dans des communautés indigènes où les gens votent à 100% pour la Révolution. Et pourquoi ? Parce que c’est Hugo Chávez qui nous a donné une visibilité, qui nous a offert la possibilité de participer à la vie politique de notre pays. Le Comandante disait : “L’heure est venue pour les peuples indigènes d’écrire leur propre histoire”. Et c’est précisément ce que nous sommes en train de faire. Nous rejetons l’action de ces ONGs qui prétendent parler en notre nom au sein d’organismes ou institutions internationales. Ils réussissent ce tour de passe-passe grâce à leurs réseaux et leurs moyens financiers. Les communautés indigènes ne possèdent ni l’un ni l’autre. Pourquoi donc dans ces réunions internationales, on ne donne pas la parole directement aux indigènes ? C’est aux indigènes de défendre leur point de vue. Pourquoi impose-t-on un intermédiaire, qui dans bien des cas, n’est même pas indigène ?
C’est pour cela que nous sommes en train de lancer le Mouvement Indigène Uni du Venezuela, afin de réunir plusieurs organisations déjà existantes, les communautés, les Peuples indigènes. L’objectif n’est pas seulement de défendre les conquêtes obtenues grâce à la Révolution bolivarienne mais de porter la contradiction au niveau international, d’offrir au monde entier la voix des indigènes du Venezuela.
Le 30 août 2012, l’ONG britannique Survival, dont le fond de commerce est la défense des Peuples indigènes, avait dénoncé un massacre d’indiens Yanomami par l’armée vénézuélienne. A un mois du scrutin présidentiel (le dernier de Hugo Chávez), la nouvelle avait fait le tour du monde. L’enquête ultérieure avait révélé un affrontement entre une communauté Yanomami et des chercheurs d’or brésiliens, présents illégalement sur le territoire du Venezuela.
Romain Migus: Que pensez vous des stéréotypes que certaines personnes véhiculent sur les indigènes ?
Aloha Nuñez: Il y a beaucoup de stéréotypes sur les indigènes. Durant des siècles, on a imposé des stéréotypes négatifs : l’indigène est un petit gros, qui marche pieds nus, il est sale. Les gens imaginent que l’indigène ne porte pas de pantalon ni de T-shirt mais déambule torse nu en pagne. Cette vision est très présente dans le monde occidental mais aussi en Amérique Latine où les medias, à travers les telenovelas, ont véhiculé ces stéréotypes. Evidemment, rien n’est plus éloigné de la réalité. Les indigènes ne sont pas hermétiques à l’évolution du monde. Nous avons des smartphones, des ordinateurs, nous utilisons internet, mais nous essayons de préserver notre identité. De la même manière qu’il y a des diversités entre les peuples en Europe, par exemple, il y a une grande diversité parmi les peuples indigènes. Il y a des Yanomamis qui ont décidé de vivre isolés dans la jungle, mais il existe aussi des Yanomamis urbains, en jeans et basket, smartphone en main. Mais ces mêmes personnes, si elles vont rendre visite à un membre de leur famille dans une communauté reculée, peuvent reprendre les codes de la communauté. Les indigènes s’adaptent à la réalité. Je pense d’ailleurs que c’est grâce à cela que nous avons survécu durant plus de 500 ans.
Extrait de notre interview avec la ministre Aloha Nuñez à propos des évènements et des fausses accusations du 23 février 2019
Notes :
(1) Constitución de la República de Venezuela, 23/01/1961, disponible en espagnol sur http://americo.usal.es/oir/legislatina/normasyreglamentos/constituciones/Venezuela1961.pdf
(2) Constitución de la Républica Bolivariana de Venezuela, 30/12/1999, https://d3n8a8pro7vhmx.cloudfront.net/medium/pages/467/attachments/original/1543939586/ve1999.pdf?1543939586
(3) Voir Romain Migus, “La démocratie participative au Venezuela”, Venezuela en Vivo, 26/06/2019, https://www.romainmigus.info/2019/06/la-democratie-participative-au.html
(4) Voir Romain Migus, “Entre mesures d’urgence et construction de l’Etat. Chronique d’en bas nº4”, 02/08/2018, https://www.romainmigus.info/2018/08/entre-mesures-durgence-et-construction.html
(5) Ley orgánica de pueblos y comunidades indígenas, Gaceta oficial, 08/12/2005,https://www.acnur.org/fileadmin/Documentos/Pueblos_indigenas/ley_organica_indigena_ven.pdf
(6) Voir Maurice Lemoine, “L’arc minier de l’Orénoque: les “écologistes” et les mafias”, Mémoire des luttes, 11/04/2018, http://www.medelu.org/L-Arc-minier-de-l-Orenoque-les