Le 8 août 2005, le gouvernement vénézuélien mettait fin à la collaboration qu’entretenaient ses services de lutte contre la drogue avec leurs homologues étatsuniens de la Drug Enforcement Administration (DEA). La raison invoquée: les agents nord-américains passaient le plus clair de leur temps à des activités d’espionnage au lieu de la dite coopération. La DEA possédait notamment des bureaux au sein même du Bureau National Antidrogue vénézuélien (ONA, en espagnol), auxquels le propre directeur de l’ONA n’avait pas accès. Cette rupture avec la DEA n’isole pas le Venezuela dans la lutte anti-drogue puisque ce pays maintient 50 accords internationaux dans ce domaine avec 37 pays, la plupart européens (1) .
Mais dès l’expulsion de la DEA, le problème de santé publique mondiale que représente la lutte contre le trafic de drogue allait se transformer au Venezuela en un thème récurrent de la guerre politico-médiatique.
Sans la DEA, les résultats s’améliorent
Et pourtant, sans les financements et la coopération étatsunienne, le Venezuela allait rapidement afficher des résultats surprenants. Alors que les services vénézuéliens avaient saisi 43 tonnes de cocaïne en 2004, grâce à la collaboration de la DEA, ce chiffre allait augmenter à 77.5 tonnes en 2005 alors que la DEA était expulsée. Malgré une légère baisse en 2007 à 57,5 tonnes, les saisies de cocaïne au Venezuela restent largement supérieures à celles pratiquées avec la collaboration de l’agence étatsunienne (2) . Selon l’ONU, depuis l’expulsion de la DEA, le Venezuela est depuis trois années consécutives le troisième pays comptabilisant les plus fortes saisies de cocaïne au monde. De nombreux parrains de la drogue ont été arrêtés au Venezuela dans cette même période et certains ont été remis aux autorités colombiennes. De manière générale, le gouvernement vénézuélien a mis sous les verrous 4.000 trafiquants, ainsi que 68 fonctionnaires de police accusés de collaborer avec le crime organisé. Pour l’année 2007, le Venezuela a fermé 12 laboratoires clandestins qui produisaient jusqu’à 1 tonne de cocaïne par jour.
Le rapport mondial sur les drogues de l’ONU pour 2007 rappelle quelques chiffres éclairants. Le plus grand producteur de cocaïne est la Colombie avec 62% de la production mondiale (3) , le plus grand producteur d’opium au monde est l’Afghanistan qui concentre 92% de la production (4) . Ces deux pays comptent sur une présence massive de l’armée des Etats-unis sur leur territoire, par le Plan Colombie pour l’un et l’occupation « Liberté Immuable » pour l’autre. Malgré l’occupation militaire étasunienne, le rapport de l’ONU nous enseigne que les résultats en matière de lutte anti-drogue dans ces pays sont catastrophiques. Pire, dans le cas de l’Afghanistan, la production a même augmenté entre 2005 et 2006.
En ce qui concerne la consommation, les Etats-Unis sont de très loin le plus grand consommateur mondial de drogues. A titre d’exemple, la ville de New York a une consommation de cocaïne par habitant près de 12 fois supérieure à celle de la ville de Paris. (5)
50% de la cocaïne présente sur le territoire étatsunien entrent par la côte Pacifique et 38% entrent en longeant le littoral des pays d’Amérique centrale (6) . Autrement dit, 88% de la cocaïne présente aux Etats-Unis ne transitent pas, selon l’ONU, par le Venezuela.
Le retour rapide sur les chiffres de la lutte contre la drogue au Venezuela nous semble nécessaire pour saisir l’ampleur d’un récent article du Monde, faisant du gouvernement vénézuélien un complice du trafic de drogue (7) . On y apprend qu’un homme d’affaire vénézuélien, Walter Del Nogal, est en passe d’être condamné en Italie pour trafic de drogue. Mais l’article précise que Del Nogal est réputé proche du gouvernement vénézuélien dont il aurait financé les campagnes de plusieurs élus, en jetant même le doute sur le président Chavez.
L’affaire Del Nogal
Revenons sur les faits. Del Nogal est arrêté à Palerme en septembre 2007. Le 4 octobre, le Procureur Général de la République Bolivarienne du Venezuela, Isaias Rodriguez, rappelle que deux procureurs vénézuéliens enquêtaient déjà sur Del Nogal avant que ce dernier ,soit appréhendé en Italie (8) . Il souligne aussi que les autorités judiciaires vénézuéliennes ont offert leur coopération à l’enquête des juges italiens. Le 15 octobre, tous les biens, avoirs, sociétés, jets privés, voitures et immeubles appartenant à Del Nogal ont été saisis par la justice vénézuélienne et mis à la disposition de la ONA, comme le rappelle Le Monde. Quant aux accusations du quotidien du soir révélant une photo de Del Nogal avec le maire de l’agglomération de Caracas, Juan Barreto, ce dernier s’en est expliqué. Il s’agissait d’une réunion de membres de son parti politique avec de nombreux entrepreneurs afin de solliciter des fonds pour leurs campagnes électorales, ce qui est légal au Venezuela. De nombreuses photos ont été prises ce soir-là, des personnalités politiques s’affichant avec de nombreux entrepreneurs vénézuéliens menant des activités parfaitement légales.
Quant à l’opposant social-démocrate Julio Montoya, cité par Le Monde, le maire Juan Barreto l’a menacé de porter plainte pour diffamation si celui-ci n’apportait pas des preuves formelles du lien supposé du maire de Caracas avec le trafic de drogue. Devant l’incapacité de Montoya d’apporter plus que la photo prise durant la soirée avec les entrepreneurs, les accusations ont cessé.
Du moins au Venezuela, puisque Le Monde revient à la charge, sans apporter de preuves supplémentaires. La suspicion est même lancée non seulement sur le maire de Caracas mais aussi sur des responsables du gouvernement ainsi que sur le propre président Chavez.
Ce journalisme d’imputation est habituel lorsqu’il s’agit du Venezuela. Mais on peut se demander pourquoi Le Monde et Paolo A. Paranagua, normalement si rapides à se lancer dans le lynchage médiatique et la désinformation sur le Venezuela, ont décidé de ne parler que maintenant d’une affaire qui a pourtant commencé, il y a plus de quatre mois. Qu’est ce qui a motivé Le Monde et Paolo A. Paranagua pour revenir sur un fait qui appartient désormais plus à la justice qu’à l’information en temps réels ?
Vers une opération « Juste Cause » au Venezuela ?
Le 20 janvier 2008, lors d’une visite en Colombie, le directeur du Bureau de la Politique de Contrôle des Drogues de la Maison Blanche, John Walters, a déclaré « qu’Hugo Chavez est en train de devenir un important facilitateur du trafic de Cocaïne vers l’Europe et d’autres régions de l’Hémisphère », comprendre les Etats-Unis.
Immédiatement, les media commerciaux vénézuéliens vont se faire l’écho des propos de Walters, d’autant plus qu’ils interviennent peu après la demande de Hugo Chavez de considérer la FARC comme un groupe belligérant et non comme des « narco-terroristes ». L’intention de Walters est facilement compréhensible. Il s’agit d’accuser Hugo Chavez de collusion avec le trafic de drogue international. Cette accusation fut la pierre angulaire médiatique qui avait légitimé l’intervention des Etats-Unis au Panama en 1989, et dans une moindre mesure l’invasion de l’Afghanistan en 2001 (en plus du terrorisme). Ce fut aussi la raison invoquée pour la mise en place du Plan Colombie et le renforcement de l’aide militaire au gouvernement colombien dans sa guerre contre la guérilla. En bref, c’est une puissante arme dans la propagande de guerre préalable à toute intervention militaire.
Or comme nous l’avons vu, l’affirmation de John Walters est contredite par les faits. Autant le Rapport Mondial sur les Drogues de l’ONU, que le Mécanisme d’Evaluation Multilatéral de l’Organisation des Etats Américains soulignent les excellents résultats du Venezuela dans la lutte anti-drogue.
La déclaration de John Walters va être démentie par le président du Bureau National Antidrogue vénézuélien, par l’ambassadeur du Venezuela à l’Organisation des Etats Américains, par l’Assemblée Nationale vénézuélienne, et par le président Chavez.
Qu’importe que le gouvernement vénézuélien et les organismes multilatéraux prétendent le contraire, les déclarations de John Walters ont pour but de créer l’illusion dans l’opinion publique mondiale que le gouvernement vénézuélien est lié au trafic de drogue en vue de légitimer les pires atrocités.
Pourquoi donc, quatre mois après les faits, le journal Le Monde et Paolo A. Paranagua décident de ressortir un fait divers pour peu qu’il concorde avec une énième offensive des Etats-Unis contre le Venezuela ?
Qui sommes nous pour le quotidien du soir et pour Paolo A. Paranagua ?
Des lecteurs dignes d’une information objective ou de simples cibles de la propagande de guerre étasunienne?
Notes:
(1) Conférence de presse de Nelson Reverol, président de l’ONA, Caracas, 22/01/08.
(2) « Le Venezuela doute du professionnalisme de l’agence anti- drogue américaine », Xinhua, http://www.french.xinhuanet.com/french/2008-01/24/content_565740.htm
(3) « 2007 World Drug Report », United Nations Office on Drugs and Crime, p. 44.
(4) « 2007 World Drug Report », United Nations Office on Drugs and Crime, p. 69.
(5) « 2007 World Drug Report », United Nations Office on Drugs and Crime, p. 272.
(6) « 2007 World Drug Report », United Nations Office on Drugs and Crime, p. 175.
(7) Jean-Jacques Bozonnet (à Rome) et Paulo A. Paranagua, « Un homme d’affaires proche du pouvoir vénézuélien impliqué dans le trafic de drogue en Sicile », Le Monde, 29/01/08.
(8) « Venezuela solicitó información a Italia sobre detención de empresario del Nogal », Agencia Bolivariana de Noticias, 05/10/07.