L’émergence d’Assemblées formées à l’initiative de voisins autoconvoqués à la suite de l’insurrection des 19 et 20 décembre 2001 est l’un des phénomènes les plus intéressants et novateurs de la politique argentine contemporaine.
Le peuple argentin a trouvé là, sans la moindre convocation ni antécédents – à part quelques expériences isolées – une nouvelle forme d’organisation. Celle-ci ne correspond même pas à l’élaboration théorico-historique de pratiques similaires dans des processus révolutionnaires tels que la Commune de Paris de 1871, les Soviets de 1905 et 1917, les Comités de Défense de la Révolution (CDR) de Cuba ou les Comités de Défense Sandinistes (CDS) du Nicaragua.
Ce qui constitue la nouveauté de ce phénomène – en particulier si l’on tient compte des expériences du XXe siècle, c’est que les Assemblées ne sont dues à l’initiative d’aucun parti politique qui aurait conçu cette forme d’organisation démocratique des masses comme base d’une mobilisation ayant pour objectif la prise du pouvoir politique. La convocation à la formation d’Assemblées dans les divers quartiers est due à l’initiative personnelle d’individus, en leur qualité de voisins n’ayant eu jusqu’alors aucune activité politique.
Etant donné que la majorité des Assemblées ont surgi dans le périmètre de la Capitale Fédérale qui a le PIB1 le plus élevé du pays au centre duquel est concentrée la classe moyenne, on a eu tendance à analyser l’émergence des Assemblées comme une réaction des secteurs moyens à la confiscation de leurs épargnes effectuée par le ministre de l’économie Domingo Cavallo en décembre 2001. Nous estimons cependant que cette analyse est simplificatrice et ne tient aucun compte de la profonde transformation que l’Argentine a vécue dans les années 90 à la suite des réformes néolibérales conduites par le gouvernement de Carlos Menem qui ont provoqué l’appauvrissement d’amples secteurs de la classe moyenne. Comme le signale à juste titre Ana Maria Fernandez, dans un travail de recherche de l’Université de Buenos Aires, “ l’opinion des médias, des dirigeants politiques et des intellectuels de diverses tendances politiques et/ou idéologiques qui ont estimé dans un premier temps qu’il s’agissait d’une protestation de la classe moyenne pour récupérer son épargne, semblait un peu étroite pour rendre compte de ce phénomène ”.2
En outre, bien que jusqu’à la réélection de Menem en 1995, les réformes néolibérales aient suscité une certaine fascination, il est également vrai que les luttes sociales n’ont pas cessé et qu’elles constituent un préalable à l’insurrection qui a renversé le gouvernement de Fernando de La Rua le 20 décembre 2001.Les années 90L’Argentine fut, avec le Mexique et le Pérou, l’un des pays que les organismes financiers internationaux ont montré en exemple pour les réformes néolibérales qui furent entreprises dès la fin des années quatre-vingt en Amérique Latine.3
Peu de pays se sont vu imposer, comme ce fut le cas en Argentine, l’idée généralisée que tout ce qui était public était forcément “ inefficace ”, qu’il fallait diminuer l’Etat, que pour que les entreprises de services fonctionnent, la seule solution était de les privatiser, que l’on réduirait ainsi les dépenses tout en éliminant la corruption. Réduire les dépenses publiques, ouvrir les marchés, flexibiliser et “ moderniser ” les marchés de l’emploi, briser le pouvoir des syndicats et réduire les dépenses sociales, voilà ce que répétaient inlassablement les médias parmi tant d’autres postulats. En dépit de quoi, au lieu d’atteindre le “ Premier Monde ” comme le promettait le président Menem, l’écart dans la distribution des richesses n’a fait que se creuser et la pauvreté de larges segments de la population s’est considérablement accrue.
Selon des données de l’Institut National de Statistiques et Recensements (INDEC) pour la Capitale Fédérale et le Grand Buenos Aires, où se trouve presque la moitié de la population, en 2002 les 10% les plus riches ont reçu 38,8% de la totalité des revenus, tandis que les 10% les plus pauvres n’en ont reçu que 1,3%. L’écart séparant les revenus des plus riches de ceux des plus pauvres a augmenté 29,8 fois alors qu’en 1974, quand l’INDEC a commencé ces recensements, elle n’était que de 12,3 fois supérieure4.Pour la sociologue Susana Torrado, le modèle imposé en Argentine dans les années quatre-vingt-dix a produit de la pauvreté sans inflation puisqu’en 1991, il y avait 21,5% des gens qui vivaient en dessous du seuil de pauvreté et après une courbe ascendante avec une inflation nulle depuis 1994, il y en avait 26% en 19985. Un mois avant la chute de Fernando De la Rua, une étude du Cabinet Equis, dirigée par le sociologue Artemio Lopez, rapportait que 40% des argentins vivaient sous le seuil de pauvreté, soit 14 millions de personnes, et qu’au cours de l’année 2001, 730 000 personnes avaient franchi ce seuil6.
En ce qui concerne les niveaux d’emploi, en 1990 les sans emplois et les sous-employés représentaient 18% de la population. En 1999, ils atteignaient 28,1% .7 Ces données nous permettent de comprendre l’apparition de trois nouveaux phénomènes de la politique argentine. (a) les piqueteros, (b) les expériences d’autogestion dans les usines gérées par les travailleurs et © les assemblées.
(a) Les piqueteros sont un pur produit de la fermeture massive des industries privatisées qui donnaient du travail à des milliers d’ouvriers et qui, dix ans après leur privatisation ont laissé sans emploi 80% de leurs travailleurs8 ce qui a provoqué le bouleversement des vieilles identités liées au travail et aux demandes syndicales. Ce n’est pas fortuit si de nombreuses organisations de piqueteros adoptent le nom de Mouvement des Travailleurs Sans Emploi (MTD).9
En ce sens, la route barrée à l’origine du “ piquete ”, est une nouvelle forme de lutte qui permet de mêler des actifs avec toutes leurs facettes – et demandes diverses- aux sans emplois qui ont été expulsés du marché formel. Ce qui s’ajoute aux diverses grèves générales menées par les différentes centrales syndicales et la révolte des 16 et 17 décembre 1993 dans la province de Santiago del Estero où des milliers de personnes ont détruitles symboles du pouvoir (pouvoir exécutif, législatif et judiciaire) et lespropriétés de plusieurs politiciens.10
(b)Selon les recherches d’un groupe de sociologues de l’Université de Buenos Aires, le 18 août 2000, les ouvriers de l’Usine métallurgique GIP Metal à Avellaneda, qui avaient été licenciés, ont décidé d’occuper l’usine et de commencer à produire à leur propre compte. A partir de là, un processus inédit de récupération d’usines en faillite et abandonnées a commencé en Argentine. On ne les récupère pas pour des motifs idéologiques puisque l’objectif principal est la protection du travail et la plupart de ceux qui en sont à l’origine manquaient d’expérience politique ou sociale. En un peu plus de deux ans, plus de 100 usines sont autogérées par les travailleurs dans des modalités différentes11 ce qui a permit la naissance du Mouvement National des Usines Récupérées (MNFR).
c) S’il est vrai que ces faits témoignent de la grogne de plusieurs secteurs sociaux dans différentes régions du pays, le phénomène prépondérant, pour comprendre l’apparition des Assemblées dans les grandes villes, est plutôt l’appauvrissement des classes moyennes à l’origine de la formation d’une nouvelle couche sociale très hétérogène et hybride dénommée “ les nouveaux pauvres ”.
Cette nouvelle catégorie se caractérise précisément par ce qu’elle a d’hétérogène et d’hybride. Des professionnels, des employés du secteur public et privé, déchus de façon abrupte ou progressive, appartiennent à cette couche sociale, des gens qui ont perdu leur lieu de travail et n’en trouvent pas de nouveau, qui ont cessé de partir en vacances, ne peuvent payer les mensualités d’une école privée ni les mutuelles contractées dans les années quatre-vingt-dix ; ils vendent leur voiture ou bien ont commencé des travaux chez eux qu’ils ont dû abandonner à mi-chemin. Il y a ceux qui ont décidé d’accepter les “ retraites volontaires ” dans les processus de privatisation et ont fini par faire faillite dans les nouvelles entreprises qu’ils ont mises en route. Il y a ceux qui ont eu un travail stable et une bonne position pendant plusieurs années et qui maintenant, à la maturité, se débrouillent à leur propre compte sans aucun bénéfice social ni perspective d’un avenir meilleur. Contrairement aux pauvres structurels, concentrés dans des aires géographiques délimitées (en général des bidonvilles) la pauvreté des classes moyennes est diffuse et dispersée dans les grandes villes, “ invisible ” ou “ intra muros ” car n’importe quel immeuble de la classe moyenne peut l’abriter.12 Dans l’étude du Cabinet Equis citée précédemment, on rapporte que 60 % des 4,5 millions de pauvres, vivant dans la Capitale et le Grand Buenos Aires, proviennent de la classe moyenne.
La décomposition sociale, le chômage et la chute retentissante des classes moyennes sont les éléments sociaux qui ont engendré une bombe à retardement qui a explosé les 19 et 20 décembre 2001 et qui a provoqué l’émergence des Assemblées.L’émergence des assembléesL’une des caractéristiques de l’insurrection des 19 et 20 décembre quI provoqua la déferlement dans la rue de milliers de personnes frappant sur leurs casseroles fut son caractère spontané inhabituel13, sans banderoles partisanes et sans qu’aucune organisation politique n’ait pu en réclamer la tutelle. A la différence des manifestations politiques traditionnelles avec les militants attroupés derrière des banderoles partisanes, le 19 décembre, après dix heures du soir, des milliers de familles ont parcouru les rues de la ville de Buenos Aires (et d’autres provinces) avec leurs enfants en bas âge sur les épaules et même accompagnés de leurs chiens dans une ambiance totalement festive malgré le fait que leur mobilisation défiait l’état de siège. Des marées humaines ont sillonné les principales artères tandis que depuis les balcons des milliers de gens joyeux et rageurs frappaient sur leurs casseroles faisant de la casserole une arme de résistance. Et pour la première fois dans l’histoire argentine un gouvernement civil a été renversé par une mobilisation populaire sans qu’y prennent part les Forces Armées.
Le caractère spontané de la participation massive au ‘cacerolazo’ du 19 décembre et l’effet qu’elle eut – le renversement d’un président – ne put être récupéré par aucun parti politique justement à cause du discrédit de toutes les forces politiques, les partis de gauche de l’opposition inclus, quoique ceux-ci n’aient eu aucune expérience de gestion gouvernementale.
Le 19 décembre l’irruption dans les rues fut une réaction directe contre le décret d’Etat de Siège du président De la Rua et la manière de défier le pouvoir cette nuit-là permet d’envisager que le cycle inauguré le 24 mars 1976 se referme avec l’impertinence et la violation massives du décret restrictif des droits civils.14
A un peu plus d’un an de leur création, nous croyons nécessaire de différencier deux étapes dans l’évolution des Assemblées. La première fut marquée par la nécessité de rester dans les rues. La seconde, une fois qu’elles furent affermies, par la recherche de légitimité dans leur environnement naturel, le quartier.
1.Une nouvelle appropriation des rues.
Après le ‘ cacerolazo ‘ du mercredi 19 décembre, il y en eut encore trois autres sans qu’aucune organisation ne s’en mêle. Le vendredi 28 décembre contre le président Rodriguez Saa – qui avait pris ses fonctions le 23 – à cause de la nomination de politiciens connus et discrédités. Un autre le mardi 1 janvier, le soir même où le président Eduardo Dualde assumait ses fonctions puis le quatrième, le jeudi 10. Les caractéristiques furent les mêmes pour tous : son manque d’organisation et de préparation, le fait qu’on en ignorait la réalité jusqu’à l’apparition du bruit des casseroles, la participation massive des familles et de personnes qui n’avaient jamais participé à des manifestations de rues, et une consigne unique qui s’est progressivement imposée “qu’ils s’en aillent tous”. Ce ne fut que le vendredi 25 janvier, sous une pluie torrentielle, qu’eut lieu le premier “cacerolazo” (cinquième) planifié, décidé cette fois-ci par les Assemblées de quartier de création récente. Ce que mettent en évidence les ‘cacerolazos’ c’est l’effervescence politique que l’on a vécu en Argentine après la chute de De la Rua ; la nécessité de continuer à manifester de façon spontanée, originale, en dehors de toute structure partisane, et la résolution des gens à rester dans les rues. Ce n’est pas fortuit si l’émergence des Assemblées ne répond pas à des convocations provenant de partis politiques, de centrales syndicales, ni même de mouvements sociaux. Les Assemblées sont en premier lieu le fruit de la mobilisation réussie des 19 et 20 décembre qui a permis aux ‘gens’ devenus le ‘peuple’ de vérifier leurforce en renversant un gouvernement constitutionnel, fait sans précédent dans l’histoire argentine et qui dans les années quatre-vingt-dix ne s’est répété que dans cinq autres pays.15.
La nuit du 19 eut l’évolution caractéristique des moments d’effervescence révolutionnaire. Les gens sortirent dans les rues contre l’Etat de Siège, ils marchèrent sans que personne n’en donne l’ordre sur la Place de Mai (symbole du pouvoir politique) et sur la maison du Ministre de l’Economie Domingo Cavallo – considéré responsable de la crise économicofinancière pour le répudier “ in situ ” et exiger sa démission immédiate. Quand les médias annoncèrent la renonciation de Cavallo, personne ne voulut s’en contenter et abandonner la rue. On redoubla la mise en demandant que tous s’en aillent, et en premier lieu le président de la nation. Revenus chez eux vers 2 heures du matin, leur retour en force sur la Place de Mai le lendemain, résistant à la répression policière qui a fait plusieurs morts a obligé De la Rua à démissionner et confirmé que la décision de ne pas abandonner la rue était la bonne.
Les assemblées sont une conséquence directe du besoin de demeurer dans les rues, espace public réinvesti massivement. C’est pourquoi, il n’est pas fortuit si elles ont toutes commencé à se réunir au coin des rues ou dans les places publiques pour témoigner leur présence dans les lieux réappropriés le 19 décembre. “ Personne ne sait qui a convoqué ni pourquoi : Réunion de voisins, ‘cacerolazo’, assemblée ? Quelques petites pancartes timides, inconnues (…) Au coin de la rue qui est à l’ombre, un petit groupe avec une tête de… regarde un petit groupe sur le trottoir ensoleillé, et un autre au troisième coin, puis un quatrième (…) quelqu’un a convoqué mais on ne sait pas qui (…) au milieu de la rue, au milieu de nulle part, on confectionne la pancarte : jour, heure et lieu de la réunion. On la montre aux gens ; On la lit. Sur la place, on chante l’hymne. Une Assemblée de quartier vient de naître ”16
Les premières réunions des Assemblées furent l’occasion de nouvelles fondations (a) politiques, (b) culturelles et (c) spatiales. Il existait bien des assemblées dans différents domaines, mais elles se constituaient toujours autour d’une activité précise ou autour d’un conflit, aussi bien dans les usines qu’à l’université ou dans un quartier pour une réclamation ponctuelle. Elles étaient convoquées généralement par une organisation politique ou sociale puis disparaissaient aussitôt. En vérité, phénomène nouveau, elles n’avaient même pas de référence spatiale.
a)Sur le plan politique : Toute personne peut participer aux Assemblées quelle que soit son appartenance politique, militance partisane ou idéologique. Aucune condition n’est exigée pour y participer. De fait, c’est un lieu de rencontre de personnes qui sortent protester pour la première fois dans les rues sans aucune expérience politique antérieure, de militants de partis politiques et de mouvements sociaux (principalement à gauche), et d’anciens militants des années soixante-dix qui , après de nombreuses années à vide, trouvent enfin un large espace idéologique. Phénomène transversal, il touche toutes les classes sociales : les fonctionnaires de second échelon du gouvernement de la Ville de Buenos Aires y ont même participé, depuis le début, en qualité de voisins avec le désir de se démarquer d’un régime qui venait d’être renversé bien que leur présence ait provoqué de nombreuses frictions dans les Assemblées.
b)Sur le plan culturel : L’un des premiers débats tourna autour du nom à donner aux Assemblées : de voisinage ? de quartier ? populaires ? Chaque Assemblée en décida de façon autonome selon la plus ou moins grande influence des partis exercée par les partis de gauche qui voulaient imposer le terme ‘populaire’. Ce fut l’occasion d’un chaleureux débat dans le quartier de San Telmo.
“ Pourquoi ne votons-nous pas un nom ? ”, lance un voisin, assis sur une estrade et après plusieurs tentatives, l’on se résoud à voter. Commence alors une discussion sur le nom, ‘Autoconvoqués de San Telmo’, propose l’un ‘et de Monserrat’, ajoute un autre ; ‘Assemblée populaire de San Telmo’, soutient un troisième. ‘et de Monserrat’ rajoute l’autre ; ‘Enlevons Populaire pour ne pas effrayer les voisins n’ayant pas de pratique militante’, réfléchit l’acteur ; “’Voisins Multisectoriels de San Telmo Carlos Almiron’ propose un professeur ; ‘et de Monserrat’ insiste l’autre. Grande huée, bien qu’il y ait également des applaudissements et des encouragements.”17
c) Ce qui est également nouveau c’est qu’elles sont “ autoconvoquées ”, ce qui permet aux voisins de sentir qu’elles leur appartiennent depuis le début. Ils sont tous ‘propriétaires’ de l’Assemblée et personne n’en a la propriété exclusive. A la différence es partis politiques où l’on se joint à une structure existante et où les hiérarchies sont clairement établies, n’importe qui peut intégrer une assemblée à tout moment sur un plan d’égalité absolue. Par ailleurs, en réaction à la politique traditionnelle, les Assemblées naissent en rejetant tout leadership.Jusqu’à présent, la recherche d’une pratique horizontale est l’une des préoccupations de toutes les Assemblées. C’est la raison pour laquelle personne ne peut déterminer ce dont on discute ou pas et que dans un premier temps, il y a des moments d’intense catharsis, d’explosions de colère spontanée, de démonstrations enthousiastes de solidarité entre pairs. Certains évoquaient leurs problèmes de travail, les bruits désagréables produits par d’autres voisins, l’augmentation des prix des médicaments, la confiscation de l’épargne, la corruption, les effets du néolibéralisme et toutes les questions possibles liées à la vie politique ou quotidienne.
La plupart des Assemblées n’ont pas d’ ‘ordre du jour’ fixé à l’avance. Une fois qu’ils sont tous ensemble – bien qu’on rentre et sorte quand on veut – chaque voisin est libre de proposer n’importe quel thème pour que l’ensemble en débatte. Devant l’impossibilité de discuter de tout et la nécessité de trouver un mode d’organisation pour des tâches ponctuelles, des commissions spécifiques ont fait leur apparition où l’on débattait plus à fond les thèmes que 50 ou 100 personnes ne pouvaient embrasser au cours de 3 ou 4 heures.
Contrairement aux réunions politiques traditionnelles, l’Assemblée a d’habitude une ambiance de quartier/ familiale où les voisins sortent même leurs propres chaises de chez eux pour participer, et leurs chiens qui accompagnent réunions et marches.
d) Sur le plan spatial : La plupart des Assemblées se réunissent dans les rues, se montrent, sont visibles. Certaines ont adopté le nom du croisement de rues où elles se concentrent (Corrientes et Juan B. Justo), d’une place (Place Dorrego) ou d’un quartier (Liniers), refondant des espaces et ignorant des divisions en quartiers existant dans la mémoire collective ou utilisées par les organismes gouvernementaux qui ont divisé la ville en 16 circonscriptions électorales. Ignorant toute expérience antérieure, les voisins décident d’organiser l’Assemblée sur une base territoriale, dans l’esprit du 19 décembre où les gens investirent les rues depuis les quartiers. La plupart des gens étaient chez eux à l’heure tardive du discours du président De la Rua. L’annonce de l’Etat de Siège a suscité une explosion d’indignation qu’ils ont traduite sur un plan politique casseroles à la main. Chaque maison devint lieu d’expression politique, et chacun prit une dimension différente en se retrouvant dans la rue avec des gens connus ou inconnus qui –rassemblés par leurs casseroles et sans avoir besoin de consignes politiques – occupèrent le quartier en signe de protestation. Beaucoup commencèrent à marcher, mais un plus grand nombre encore restèrent où ils étaient, au coin de leur quartier, à taper sur leurs casseroles. La rue, transformée en terrain dangereux pendant la dictature militaire par peur de la répression, et en démocratie par la violence délictueuse, est alors recherchée comme objet de réappropriation, qui rompe l’individualisme et l’enfermement perpétué à l’intérieur des maisons pendant des dizaines d’années.
“Nous sommes restés pendant trop longtemps sous la coupe du : ‘ ne t’en mêle pas’, les gens avaient très peur (…) les gens s’expriment maintenant douloureusement. Des gens qui n’ont jamais pu crier ce qui leur arrivait. ”18
2.La consolidation et les actions concrètes dans les quartiers.
Même les médias, historiquement liés à la bourgeoisie argentine, ont perçu positivement – dans un premier temps – le phénomène des Assemblées, estimant qu’elles représentaient une réaction adéquate face aux partis politiques discrédités vu que celles-ci les répudiaient ouvertement. Le premier article du journal La Nacion à les analyser les considère même comme “ les Assemblées de voisinage (ce qu’elles sont), berceau de futurs leaders ” (27 janvier 2002). Cependant, deux semaines plus tard, un éditorial du journal avertissait qu’elles pouvaient se transformer en soviets. 19 Certains partis de gauche estimant la situation vécue en Argentine comme ‘révolutionnaire’, ils ont cherché à faire en sorte que les Assemblées – en plus d’autres secteurs sociaux- n’abandonnent pas les rues et maintiennent une mobilisation permanente autour de toutes les revendications sociales, ce qui fut totalement impossible à soutenir excepté pour les militants disposés à courir les manifestations. La mobilisation ne put être maintenue, tout d’abord, à cause de la consolidation du gouvernement d’Eduardo Duhalde qui avait l’appui du principal parti politique, le péronisme, parvenu à remplir le vide produit après la chute de De la Rua. Deuxièmement, parce que la consigne ‘qu’ils s’en aillent tous’ ne pouvait se concrétiser dans la réalité par manque d’alternative réelle qui puisse prendre en charge le vide de pouvoir que le péronisme, lui, parvenait à combler. L’existence de plus de 100 assemblées dans le centre névralgique du pays et quelques 200 autres dans tout le territoire national n’en faisait pas par elles-mêmes des organismes au ‘pouvoir double’ dans le sens soviétique du terme – capables de disputer le pouvoir au gouvernement.
Etant donné que les Assemblées n’ont pas d’antécédents historiques ni de miroirs où se regarder, pendant les premiers mois, les réunions se caractèrisèrent par la recherche d’un chemin qui permettent de les orienter politiquement.
Pepa Vivanco de l’Assemblée de Scalabrini Ortiz et Cordoba le dit clairement “ nous avons la sensation d’être en train de construire quelque chose de nouveau, mais nous ne savons pas ce dont il s’agit ”.20Les militants des partis de gauche, soi-disant dotés d’un ‘savoir historique’ ont essayé d’imposer leurs consignes ‘révolutionnaires’ bien que la réalité ait démontré que la mobilisation générale diminuait. Ils se sont également absorbés dans des débats ennuyeux pour que les Assemblées adoptent des consignes qui étaient bien loin de refléter les nécessités concrètes des voisins qui avaient gagné les rues et essayaient de recontruire les tissus sociaux dans le quartier.
“ Comment faire avorter un processus d’Assemblée– se demandait en février 2002 une ex-militante du Mouvement vers le Socialisme – ‘Comment réduire une Assemblée de 400 à 75 personnes ?(…) Dans notre Assemblée, il existe plusieurs groupes politiques identifiés, à demi-identifiés et d’autres en train de l’être… Je dis cela parce qu’au début, certains qui ne se saluaient même pas, ne disaient rien là-dessus et qu’à mesure que nous nous sommes connus, nous nous sommes rendu compte qu’ils se connaissaient déjà par ailleurs, d’ailleurs, qu’ils venaient ensemble… et puis ils ont commencé à oser dire ‘Je suis au MST’, ‘Je suis au PTS’, ‘Je suis militante de la non violence active’ (PH), (…) l’intervention désespérée des groupes politiques qui, quelques heures avant de se déterminer en faveur ou non du congrès ‘ piquetero’ y sont allés avec des renforts pour les faire voter et ce fut notoire (…) Et pourquoi les gens partaient-ils ? Pourquoi l’ambiance des Assemblées s’est-elle rompue sur la base d’accusations, d’insultes, de soupçons de la part de militants de ces courants vis à vis des pauvres voisins inexpérimentés qui faisaient la moindre connerie(…)?
Les courants politiques devraient se comporter autrement, ils sont en train de noyauter les Assemblées… ils veulent les diriger et personne ne leur a rien demandé… agir ains,i ce n’est pas être révolutionnaires, mais plutôt contre le processus d’organisation le plus vaste qu’aient vécu cette ville et ce pays depuis des décennies… Ils sont en train de le faire l’avorter”.21 En réalité, le problème majeur de la gauche, c’est qu’ils (a) n’ont pas prévu le ‘cacerolazo’ du 19 décembre ni l’effet qu’il aurait pour renverser De la Rua, (b) ils n’ont pas imaginé la formation des Assemblées qu’ils ne possédaient même pas dans leur patrimoine idéologique. Cependant, il faut signaler que l’une des contributions les plus importantes des partis de gauche fut d’essayer de relier les Assemblées qui faisaient leur apparition dans une ‘Assemblée des Assemblées’ qui se réunissait les dimanches aprèsmidi dans un jardin public (Le Parc Centenario). “l’Inter-quartiers ” eut lieu les dimanches de janvier et février 2002. Des milliers de personnes se réunissaient au Parc Centenario pour discuter à l’air libre dans un climat festif les thèmes proposés par chaque Assemblée et les convocations aux mobilisations.
“ La première réunion inter-quartiers – écrit Modesto Emilio Guerrero eut lieu le second dimanche de janvier, alors que les vingt-troisassemblées de voisinage fonctionnaient déjà. Toutes n’y ont pas assisté, et malgré tout trois cent personnes y furentt réunies. Jusqu’à sa seconde réunion, elle a fonctionné selon une liste d’intervenants et un ordre du jour mis en place de façon chaotique, comme tout jusqu’alors. On débattait librement, bien qu’y prédominent les pronunciamientos et les considérations générales (…)A la deuxième rencontre, il y avait le double de voisins, à la troisième, on comptait presque deux mille personnes, à la quatrième plus de deux mil cinq cent et à la cinquième presque trois mille ‘ membres’. A partir de cette assemblée, le nombre a commencé à diminuer avec autant de force qu’il avait augmenté. Enviro deux mille sept cent participants assistèrent à la dernière, le 24 février. ”22
Pourtant, de même qu’il faut reconnaître que les partis de gauche ont influencé la création inter-quartiers, il faut bien dire qu’ils ont représenté le principal facteur de leur disparition. Au lieu de faire en sorte que l’Inter-quartier recueille les préoccupations de chaque Assemblée, le besoin des partis de gauche d’imposer leurs consignes ou de débattre ‘en interne’ sur les mouvements ‘piqueteros’ ou les usines récupérées à aboutit à ce que l’Inter-quartier devienne un lieu débat stérile entre partis. Sergio, de l’Assemblée de Liniers a lu un discours au sein de l’Inter-quartier pour critiquer le mode d’action de ces groupes.
Nous, qui participons, savons qu’aujourd’hui les assemblées sont en train de passer par un reflux objectif, dû en partie aux bagarres des appareils du MST et PO fondamentalement (mais la majorité des autres partis de gauche n’y échappe pas non plus) qui, au lieu d’aider au développement des assemblées, en ont fait leur chasse gardée ou un tremplin pour imposer leurs propres ‘tactiques’. Non seulement ils ont divisé l’Acte du 1er mai, mais il y a eu, comme chacun sait, deux batailles rangées brutales pour le plus grand plaisir de la droite et du gouvernement. ”23 Vidée de son contenu dynamique et de rencontre initial, l’affrontement physique entre militants a fini par la détruire.
Une fois que les mobilisations eurent commencé à diminuer et face à l’arrivée des rigueurs de l’hiver, les Assemblées se sont proposé d’abandonner les rues. Lentement, elles sont passées, de mouvement de protestation de rue, à avoir comme objectif la reconstruction de la trame sociale. Comme le signalent Julieta Mira et Carlos Juarez Aldazabal “ confrontés à un tissu social corrodé pendant des décennies par les formes dictatoriales et démocratiques du capitalisme néolibéral, nous misions sur une nouvelle construction à partir du quartier, un nouveau commencement de la Nation à partir d’une nouvelle volonté collective. ”24
Tenant compte des différences et particularités de chaque quartier, les Assemblées ont commencé à faire des courses communautaires, des soupes populaires pour les plus nécessiteux, des bourses de travail pour les sansemplois, des rencontres culturelles, des cantines, des marches contre l’augmentation des prix des entreprises de services privatisées et à soutenir les travailleurs qui avaient pris les usines.
En ce sens “ La trama, une rencontre entre culture et politique ” organisée par l’Assemblée de Palermo Viejo les 25 et 26 mai 2002 reflète cette intentionnalité de reconstruire la trame sociale dans le quartier. Palermo Viejo a changé de physionomie au cours des cinq dernières années. Du quartier à forte concentration en caves et ateliers de réparation de voitures qu’elle était, elle s’est transformée en un quartier peuplé de petits bars, restaurants et théâtres. Cette métamorphose a eu lieu grâce à l’installation du journal El Cronista Comercial au coeur du quartier et de plusieurs chaînes de télévision, qui ont attiré journalistes, acteurs et personnes gravitant dans le monde culturel. La trama permet de comprendre comment la pensée des membres des assemblées a évolué. L’idée est venue parce que l’un des problèmes des voisins du quartier qui y vivent depuis très longtemps c’est qu’ils ne le connaissent pas, alors qu’il a précisément des caractéristiques historiques intéressantes.
Une fois, quelqu’un proposa l’idée de faire quelque chose pour connaître le quartier, l’idée est venue alors de faire une ballade et un jeune qui connaît très bien le quartier puisqu’il est distributeur de journaux avec des architectes a organisé un parcours. 35 membres de l’Assemblée partirent un samedi après-midi, avec des chiens et des bicyclettes à la découverte du quartier. Ils ont reconnu les maisons les plus anciennes, les caves en usage à un moment donné, les problèmes d’odeurs des caves existant il y a soixante ou soixante-dix ans et qui n’existent plus. En le parcourant , ils ont découvert quantité de théâtres, de bars et de restaurants et que l’un des problèmes culturel, c’est que si les gens veulent aller au théâtre, il faut qu’ils sortent du quartier, qu’ils se rendent au centre de la ville. Etant donné que Palermo Viejo a plein de lieux liés à la culture, descentres culturels etc, pourquoi sortir du quartier se demandèrent les gens des Assemblées. En plus, pourquoi ne pas organiser une activité dans le quartier, pour les gens du quartier et d’accès gratuit. Les gens de assemblées, au lieu de porter au quartier une proposition toute faite, l’ont parcouru pour que d’autres voisins y joignent leurs propositions. Ce qui a commencé avec une idée d’une vingtaine d’activités a fini par en rassembler plus de deux cent. Les bars et restaurants ont offert de confectionner des menus promotionnels les fins de semaine, de faire des expositions de peintres, les théâtres ont offert de monter des oeuvres à l’entrée gratuite et plusieurs espaces culturels ont offert de faire des repas politiques. Peut être l’une des plus grandes nouveautés, c’est que bars et restaurants ont ouvert leurs portes pour faire des débats politiques et organiser dans un espace fermé une foire artisanale. La trama des 25 et 26 mai fut une très modeste expérience d’autogestion, car ce fut l’Assemblée qui articula les différents secteurs sociaux du quartier. Bien qu’il soit difficile de calculer combien de gens y ont participé, Julieta Mira, membre de l’Assemblée estime “ que plus de 5000 personnes sont venues dans le quartier participer à la rencontre ”25.
Julieta Mira : “ La lucha politica en un barrio mirada desde la economia politica. Las estrategias comunicacionales y culturales de la Asamblea Vecinal de Palermo Viejo 2002-2003 ” ? (M.S. Inédit)Ce que démontre La trama c’est que l’une des caractéristiques développées par les Assemblées est la combinaison de la réclamation faite à l’Etat et leur organisation en marge de celui-ci, en le supplantant même là où il s’est retiré suite aux processus de privatisation des services sociaux.
“ Cantines, lieux de goûter, tout cela fait partie d’une économie de résistance -dit Gustavo Vera de l’Assemblée du 20 décembre du Parc Avellaneda – Depuis mars l’agenda des Assemblées a changé , la dévaluation a attaqué les portefeuilles et mantenant la faim et le chômage sont criants.
La métamorphose sociale est catastrophique. Sans manger on ne peut pas livrer bataille ”.26
Le sociologue péruvien Anibal Quijano considère que “ Les Etats de la périphérie ont commencé à travailler contre la majorité de leurs populations parce qu’ils ont été privatisés à nouveau. Il n’est plus possible de capturer cet Etat ; mais en même temps il y a un autre processus plus étendu qu’on ne le pense. Il y a un processus de formation de nouvelles formes d’autorité politique dont la tendance est communale et dont le développement ne peut se faire sans une lutte contre l’Etat ”. Tenant compte de l’expérience de l’Equateur, et des assemblées en Argentine, Quijano ose prophétiser que “ ce qui vient c’est l’émergence de la reconstitution de formes d’autorité publique qui supposent une auto gouvernance où les électeurs ont la possibilité d’utiliser des mécanismes de contrôle immédiat de leurs élus. ”27 C’est ce qui arrive justement dans nombre d’assemblées, quand quelques-unes de leurs initiatives politico-sociales remplacent celles de l’Etat, et donnent à leurs actions la particularité d’un “ double pouvoir ” de facto.
Provoquant des résistances chez certains et chez d’autres – les plus ‘voisins’, les plus liés au milieu territorial- le sentiment de l’urgence, les assemblées ont peu à peu assumé la situation et le devoir d’affronter simultanémenttoutes les tâches que réalisaient auparavant des organismes maintenant disparus. Plus que le désir d’être tout, les membres des Assemblées sentaient que c’était un devoir de l’être’28
Les prises d’espaces étatiques (et privés) abandonnés et récupérés par les Assemblées est l’un des repères fondamentaux de l’expérience des Assemblées de 2002. Fruit de la nécessité de se doter d’un espace ‘physique’où se réunir pendant l’hiver, ce qui dans bien des cas partait d’une nécessité physique a fini en expériences autogestionnaires. Les Assemblées ont pris des terrains vagues, des bouts de terrain en bordure des chemins de fer, des cliniques abandonnées, des bars et des pizzerias fermés ou des marchés municipaux abandonnés depuis des lustres, toujours dans le but de leur donner un contenu communautaire.
Il se peut que la récupération de la Clinique Portugaise ait été l’un des cas les plus intéressants de récupération d’immeubles. En aôut 2002, deux assemblées du quartier de Flores qui avaient besoin d’un espace où se réunir ont décidé de rentrer dans l’immeuble abandonné depuis 6 ans de ce qui avait été une clinique maintenant fermée. Grande fut leur surprise en y trouvant quatre étages équipés en matériel médical et des installations en parfait état. Face à la nouvelle situation, les membres de ces assemblées changèrent leurs plans et décidèrent de convoquer des médecins et des infirmiers pour remettre la clinique en activité et construire un projet d’action sanitaire et sociale permettant aux travailleurs des usines récupérées manquant de couverture médicale d’accéder à la santé. L’Assemblée de Palermo Viejo a récupéré les petites rues entourant un marché municipal à moitié abandonné et a lancé un projet productif pour des dizaines de personnes qui, à la suite du chômage, ont recours à la fabrication d’artisanat comme moyen de subsistance. Les artisans ont décidé de baptiser la foire, ce qui est assez parlant, “ la trama ,la considérant comme héritiaire de celle qui s’était déroulée pendant l’événement “ la trama ” organisée par l’Assemblée quelques mois plus tôt. Les lieux récupérés, qui n’apportaient guère au quartier que saleté, danger de contamination et risques pour la communauté, ont été transformés en espaces de participation collective. Au lieu de lutter seulement pour la prise révolutionnaire du pouvoir, après laquelle tout etait censé changer, de nombreuses Assemblées ont constitué des formes embryonnaires de pouvoir alternatif qui ont été légitimées par les voisins et même par les autorités locales.ConclusionUn an a passé depuis la création des Assemblées qui ont accompli un changement qualitatif depuis leur apparition.. Elles sont passées par une étape de mobilisations (nullement abandonnées depuis) pour concevoir progressivement des zones de pouvoir basées sur l’organisation des voisins, ce que le gouvernement est très loin de pouvoir réaliser. Il est impossible de savoir où vont les assemblées. Tout est nouveau. Les usines récupérées aussi bien que le mouvement piquetero. Dans l’usine métallurgique Gip Metal il y a eu 48 heures entre les licenciements et l’occupation; à ce moment-là, les ouvriers ne savaient pas jusqu’où ils iraient dans leur prise de décision ni qu’elle prendrait de l’extension. Les piqueteros ne pouvaient pas non plus prévoir en 1995-1996, quand ils ont commencé à s’organiser, que le chômage deviendrait un phénomène structurel qui ne ferait que s’aggraver.
La formation des assemblées a changé quatre aspects de la réalité sociale de l’Argentine:
- Elle a contribué à revaloriser les autres mouvements sociaux, en particulier les piqueteros, habituellement délégitimés par les médias en raison de leur persistance dans les barrages routiers. Selon Toty Flores de MTD-La Matanza, la légitimité des Assemblées provient de ce qu’elles sont issues de la classe moyenne et de sa relation avec les piqueteros qui les a fortifiées.29 Silvano Villagra, du mouvement piquetero Quartiers Debout reconnaît que l’organisation en assemblées des voisins a eu des répercussions sur les pratiques de son mouvement.30
- La classe moyenne appauvrie, après avoir souffert des conséquences des réformes structurelles sans articuler de réponse sociale a maintenant trouvé des espaces d’organisation pour changer sa réalité.
- Une nouvelle dimension socio-politique très significative, transcendant aussi bien le simple lieu d’habitat que le statut social émerge autour du quartier. C’est également le cas des piqueteros qui marquent nouvellement le territoire. Ayant été expulsés du marché de l’emploi – qui, en général, divise les travailleurs – le territoire devient leur lieu de rencontre naturel. Ils s’organisent comme piqueteros là où ils vivent, font leurs expériences de lutte de rue, communautaires ou de production, également là où ils vivent, c’est-à-dire sur un plan territorial. Ce qui unit les voisins des Assemblées, avant tout, c’est l’articulation de la politique à partir du local.
- Le thème du pouvoir prend une nouvelle dimension : le prend-on?
Le pouvoir est-il une construction de l’Etat ? Construit-on du pouvoir à travers les expériences d’autogestion ? Ou un contrepouvoir ?“ Je défends l’idée que les assemblées doivent être des organes de contrepouvoir et d’autodétermination du peuple – dit Elbio de l’Assemblée de Ciudadela Norte – et à chaque pas accompli pour remettre en cause l’autorité des gouvernements national, provincial et municipal, nous construisons un contrepouvoir ” Il est clair qu’il y a des tâches que les Assemblées n’attendent plus de l’Etat, elle sprennent l’initiative et le font elles-mêmes, comme l’occupation de terrains abandonnés. On ne demande pas au gouvernement de les remettre en état ; les Assemblées les récupèrent pour la communauté, mais c’est aussi un signe de pouvoir. Il est probable que nous soyons au seuil d’une nouvelle étape du mouvement des Assemblées, bien qu’il soit possible d’affirmer qu’en tant que nouvelle forme de participation politico/citoyenne, elles sont bien là et pour longtemps.
Source: http://pedrobrieger.com/2019/01/03/las-asambleas-en-la-argentina/
*Texte traduit par Claudia Karlinsky
1. Le PIB de la ville de Buenos Aires représente 25% du PIB national ; Ka Nation 13-08-20022.Ana Maria Fernandez, “ El mar en una botella ”, publié par la revue “ El campo grupal ” AÑO4, n°32-Marzo 2002, Buenos Aires,
3. Pour voir une analyse minutieuse par rapport aux années quatre-vingt-dix en Amérique Latine voir Brieger, Pedro : “ De la década perdida a la década del mito neoliberal ”.In La globalizacion economico-fiannciera. Su impacto en América Latina (AAVV) Ed. CLASCO5.Clarin, 10 juin 1999
6. Clarin, 23 novembre 2001
7. Clarin, 17 décembre 1999
8. Ariel Ogando : Desocupados y cortes de ruta en el noroeste argentino ”. in Revista Herramienta n°15. Buenos Aires, Automne 2001
9. Voir Tony Flores. De la culpa a la autogestion. Un recorrido del movimiento de Trabajadores Desocupas de La Matanza. MTD Editora, Buenos Aires, décembre 2002.
10. Voir le travail de Nicola Inigo Carrera et Maria Cella Cotarelo “ Clase y protesta social en la Argentina de los “ 90 ”. Agencia Wayruro, 26 juin 2001.
11. “ Una investigacion de la UBA sobre las fabricas recuperadas por sus obreros ” in Pagina 12, 5 janvier 2003
12. Pour comprendre en profondeur le phénomène des “ nouveaux pauvres ” voir l’excellent travail d’Alberto Minujin et Gabriel Kessler “ La nueva pobreza en la Argentina. ” Buenos Aires. Ed Planeta, 1995
13. Voir Pedro Brieger “ Testimonio de una pueblada ”, in El GRANO DE ARENA n° 120, 26/12/2001
14. Voir Emilio Cafassi : Olla a presion (cacerolazos, piquetes y asambleas sobre fuego argentino. Univ. De Buenos Aires, avril 2002, Pgs 79-82
15. Avant De la Rua, les présidents suivants sont tombés suite à des mobilisations populaires: Fernando Collor de Melho au Brésil, en décembre 1992, Carlos Andrés Perez au Vénézuela en mai 1993, Abdala Bucaram en Equateur en février 1997, Raul Cubas Grau au Paraguay en Mars 1999, Jamil Mahuad en Equateur en janvier 2000 et Alberto Fujimori au Pérou en novembre 2000.
16. Alejandro Horowicz, dans Oscar Caram ‘que se vaya todo’, Manuel Suarez Editor, Buenos Aires 2002, pag. 22.
17. Pagina/12, 20 janvier 2001
18. Asucena , Assemblée d’Almagro ; in Oscar Caram, opus cité page 30
19. S’il est vrai que l’essor de ces assemblées semble la conséquence du ras le bol public face aux conduites peu dignes de confiance de la classe politique, l’on doit tenir compte du fait que de tels mécanismes de délibération populaire renferment un danger, de par leur nature, on peut les rapprocher de l’inquiétant modèle de décision des “ soviets ”, (La Nacion , 14 fdévrier 2002)
20. Denis et Joelle Chassin : Pour comprendre la crise argentine. Institut d’études poliitques. Strasbourg.Janvier 2003, pag. 186
21. Pollo (pseudonyme) “ Para militantes y militados ”, 13 février 2002, in www. Indymedia.org 5e22.Modesto Emilio Guerrero : “ Emergencia y desafios de las asambleas barriales ”, Revista Herramienta N°19, Automne 2002, Buenos Aires.“
23. Modesto Emilio Guerrero ; “ Emergencia y desafios de las asambleas barriales ”, Revista Herramienta N° 19, Automne 2002, Buenos Aires, Argentine.
24. Julieta Mira y Carlos Juarez Aldazabal “ Cultura y politica en un barrio : La trama de la Asamblea de Palermo Viejo ”. Soutenance présentée aux Vèmes journées de sociologie de la UBA, novembre 2002
26. Gustavo Vera, Asamblea Popular 20 décembre, Parc Avellaneda ; in Oscar Caram, Opus.Cité page 80
27. Entrevue avec Anibal Quijano, Buenos Aires, Juillet 2002.
28. Cristina Feijoo et Lucio Salas Oroño ; “ Las asambleas y el movimiento social ”. In qué son las Asambleas populares. Ed. Continente/Pena Lillo ; Buenos Aires 2002..Pag.2429. Entrevue avec Toty Flores, janvier 2003.30. Entrevue avec Silvano Villagra, janvier 2003.